Révolution ou Guerre n°5

(Février 2016)

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21e Congrès du Courant Communiste International : « Renaissance culturelle » ou annonce de liquidation par les "ayant droits" ?

« Le CCI a tenu au printemps dernier son 21ème congrès. Cet événement coïncidait avec les 40 ans d’existence de notre organisation. De ce fait, nous avons pris la décision de donner à ce congrès un caractère exceptionnel avec comme objectif central de jeter les bases d’un bilan critique de nos analyses et de notre activité au cours de ces 4 décennies. »

À la lecture de l’article 40 ans après la fondation du CCI, quel bilan et quelles perspectives...? [1], il ne fait aucun doute que ce congrès représente un moment important dans la vie de cette organisation et une étape particulière dans sa descente aux enfers de l’opportunisme. En apparence, il adopte une nouvelle attitude modeste et autocritique sur toute son histoire loin des déclamations péremptoires du passé sur la validité éternelle des politiques et positions adoptées. Mais en fait, le CCI "d’aujourd’hui" revient sur 40 ans d’existence pour, nous allons le voir, tirer un bilan négatif de son histoire réelle passée. Et justifier ainsi ce qui s’annonce être la liquidation théorique et politique finale par ceux qui se sont imposés à coup de manœuvres, condamnations et exclusions comme les "ayants droits" du mourant.

La première partie, Le bilan critique de notre analyse de la situation internationale, revient essentiellement sur ce que le CCI considère aujourd’hui comme des erreurs, qualifiées d’immédiatistes, dans les différentes analyses sur le développement de la lutte des classes : la compréhension du cours historique ; la sous estimation du poids de la contre-révolution ; ne voir le prolétariat qu’à l’offensive alors qu’il n’a développé que des luttes de défense économique ; un manque de maîtrise de la théorie de Rosa Luxemburg menant à une surestimation de la crise du capitalisme ; une sous-estimation des effets délétères de la décomposition. Hormis le dernier point, ces constats renvoient aux prises de position des années 1970 et 1980. Pris en soi, ils peuvent être, ou non, plus ou moins partagés et renvoient à des difficultés pour appliquer la méthode d’analyse marxiste que rencontre inévitablement toute organisation communiste.

Par contre, sont complètement ignorées les véritables erreurs liées aux principes marxistes, c’est-à-dire leurs trahisons, tel le rejet de l’alternative historique révolution ou guerre au 15e congrès, la disparition de la perspective de guerre impérialiste mondiale remplacée par celle « d’apocalypse écologique » au 17e congrès, la dénonciation de la grève sauvage menée par les ouvriers d’OPEL à Bochum (Allemagne) en octobre 2004, l’appel à la solidarité avec les policiers blessés comme « êtres humains [et] pères de famille » (!) en 2006 lors des manifestations de rue en France ou encore celui pour participer aux campagnes humanitaires lors du tsunami de 2004 en Asie... [2]

La première partie du rapport sur la situation internationale court jusqu’à la fin des années 1980, et retrace assez fidèlement les analyses passées du CCI. Elle met au centre de celles-ci le concept de "cours historique". Mais à partir des années 1990, « face à l’avancée de la décomposition, nous avons été obligés de réexaminer toute la question du cours historique dans un Rapport pour le 14e Congrès » de 2001 (nous soulignons). Et pour cause, la "Décomposition", érigée en catégorie absolue, est devenue le facteur déterminant de la situation en lieu et place de la lutte entre bourgeoisie et prolétariat au cœur de la notion de "cours historique" : « la décomposition (...) crée d’immenses dangers pour la classe ouvrière [qui] pourrait être graduellement écrasée par l’ensemble du processus au point de ne plus être capable de se dresser contre la marée de la barbarie » jusqu’à appeler à lutter contre elle – et non contre la classe capitaliste. Par exemple : les « étudiants en France en 2006 ou la révolte des Indignados en Espagne [ont] ont porté un coup à l’avancée de la décomposition » ! La théorie opportuniste de la Décomposition remplace (et liquide) la lutte des classes par la "lutte contre la décomposition". Du coup, la méthode d’analyse définie par le "cours historique" basée sur la première n’est plus opérante et, son maintien, même formel, contredit ouvertement la théorie de la décomposition.

Le bilan du congrès en conclut que « aujourd’hui, après 25 ans de quasi-stagnation de la lutte de classe au niveau international, le CCI doit maintenant s’attacher à une tâche semblable à celle de Bilan à son époque : comprendre les raisons de l’échec de la classe ouvrière à retrouver une perspective révolutionnaire près d’un demi-siècle après la reprise historique de la lutte de classe à la fin des années 1960 ». L’annonce de la liquidation de l’expérience des années 1970 et 1980 est programmée. Et cela au moment même où la notion de "cours historique" se vérifie, où crise et guerre se conjuguent directement l’un l’autre obligeant la bourgeoisie à mener une guerre de classe redoublée contre le prolétariat.

Règne de l’idéologie bourgeoise et échec de la lutte contre le "parasitisme"

Les développements qui suivent, le rôle du CCI comme fraction d’une certaine façon et la nécessité d’une renaissance morale et culturelle, ne sont là que pour justifier, "historiquement et théoriquement", le reniement annoncé. Inutile de s’y attarder sinon pour relever, et s’en moquer, les nouveaux mots d’ordre internes : « la culture de la théorie » (après ’la culture du débat’) et « la recherche de la vérité » d’une part et, de l’autre, le degré de pénétration de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise qu’ils révèlent. Et, en prime, l’avilissement éhonté de l’histoire du mouvement ouvrier qui montre l’état de dégénérescence auquel est arrivée cette organisation : « Mais le processus de dégénérescence du SPD [le parti social-démocrate allemand d’avant 1914] a commencé bien avant cet abandon des tâches théoriques. Il a commencé avec la destruction progressive de la solidarité entre les militants [avec la fin des lois antisocialistes en 1890] (…). Cette destruction de la solidarité (permise grâce aux conditions ’confortables’ de la démocratie bourgeoisie) a ouvert la voie à une dépravation morale croissante au sein du SPD... ». Depuis les années 1990, le CCI expliquait les crises des organisations politiques du mouvement ouvrier par l’existence de clans et d’animosités personnelles en leur sein. Aujourd’hui, l’absence de solidarité entre membres provoque leur dégénérescence ! Exit la plus grande partie des apports théoriques et politiques du mouvement ouvrier, de Lénine, de Rosa Luxemburg, etc., dans leur combat contre l’opportunisme politique...

Le passage sur la défense de l’organisation est un terrible aveu de défaite pour l’opportunisme du CCI : « Le renforcement de la défense publique et intransigeante de l’organisation est une orientation que le Congrès a dégagée. Le CCI a parfaitement conscience que cette orientation peut conduire momentanément à ne pas être compris, a été critiqué pour son manque de "fair play", et donc à un isolement encore plus grand. Mais le pire serait de laisser le parasitisme faire son travail destructeur sans réagir. Le Congrès a mis en avant que, sur ce plan là aussi, le CCI doit avoir le courage de "nager contre le courant" ». Bref, son combat contre le "parasitisme" et pour détruire les autres groupes qui refusaient de le suivre sur ce terrain, souvenons-nous de l’appel interne à détruire le BIPR lors de son 16e congrès (2005), a été un échec et a contribué à son propre discrédit et isolement.

La véritable faiblesse historique du CCI

En réalité, le choix des erreurs relevées vise à remettre en cause le CCI des années 1970 et 1980 et à liquider l’expérience – particulièrement d’intervention dans les luttes ouvrières – et les apports théoriques et politiques de ces périodes ; tout spécialement, ceux de son combat presque permanent contre le poids de ses origines et faiblesses d’ordre conseilliste dans ces années-là. Lorsque nous parlons de faiblesses d’ordre conseilliste – l’économisme combattu par Lénine en son temps – nous ne réduisons pas, loin s’en faut, le problème à la seule reconnaissance formelle de la nécessité du Parti. La lutte contre l’économisme moderne qu’est le conseillisme renvoie au rapport entre "être et conscience", entre conscience de classe et extension de celle-ci dans la classe, entre Parti et classe, au niveau théorique tel que le marxisme a su le comprendre ; et à la reconnaissance pratique de la dimension politique permanente des luttes ouvrières et à la méthode d’analyse des situations qui va avec. En particulier, la Gauche italienne nous a enseigné qu’il y avait un lien très étroit entre la prise en compte permanente de la dimension politique de la lutte des classes et du facteur "conscience de classe" d’une part et l’analyse de l’évolution de la situation de l’autre. Or, la principale faiblesse historique du CCI est certainement sa difficulté de toujours, malgré sa plateforme, pour se réapproprier l’ensemble de l’histoire du mouvement ouvrier. Lorsqu’il se revendiquait des fractions de gauche des années 1930, en réalité il ne se revendiquait que de la revue Bilan à partir de 1933 ; et des gauches hollandaise et allemande. Il a toujours ignoré les apports et les combats théoriques et politiques du Parti communiste d’Italie et ensuite de sa fraction de gauche. Jamais il n’a réellement abordé, pas même de manière critique, les Thèses de Rome et de Lyon [3] par exemple. Or, ces documents programmatiques développent toute une méthode et une vision que les communistes doivent reprendre pour pouvoir développer, d’un point de vue de Parti, des analyses et compréhensions des situations. « Le processus historique d’émancipation du prolétariat et d’établissement d’un nouvel ordre social découle de l’existence de la lutte des classes. Toute lutte de classe est une lutte politique, c’est-à-dire qu’elle tend à se transformer en une lutte pour la conquête du pouvoir politique et pour la direction d’un nouvel organisme étatique. » (Thèses de Lyon). Sans pouvoir développer plus ici, c’est le rapport à l’État, la perspective de l’insurrection, de la destruction de l’État bourgeois et de la dictature du prolétariat, qui définit la méthode et les critères d’évaluation de l’évolution du rapport de forces politique entre les classes, ou "cours historique". La principale faiblesse historique du CCI réside certainement dans cette ignorance de l’expérience de la Gauche italienne des années 1920. Elle explique qu’il n’ait pu réellement se défaire de ses origines conseillistes malgré les combats menés en son sein et qu’il y soit retombé depuis lors [4].

Enfin, la conclusion de ce rapport annonce l’arrivée plus ou moins proche de la liquidation officielle du CCI historique par l’opportunisme triomphant : « Le CCI est aujourd’hui dans une période de transition. Grâce au bilan critique qu’il a engagé, à sa capacité à examiner ses faiblesses, à reconnaître ses erreurs, il est en train de faire une critique radicale de la vision de l’activité militante que nous avions jusqu’à présent, des rapports entre les militants et des militants à l’organisation, avec comme ligne directrice la question de la dimension intellectuelle et morale de la lutte du prolétariat. C’est donc dans une véritable "renaissance culturelle" que nous devons nous engager pour pouvoir continuer à ’apprendre’ afin d’assumer nos responsabilités. »

Avec l’appel à « une critique radicale », le constat est clair : il est négatif. Nous ne doutons pas qu’il le soit aux yeux de l’opportunisme dont l’intérêt est précisément de liquider les apports théoriques et politiques du CCI de ses premières décennies et de gommer l’expérience organisationnelle réelle – pas celle inventée aujourd’hui post festum – tant au plan de la vie interne que de l’intervention dans la classe. Cette annonce de liquidation est donc logique avec la dérive opportuniste que cette organisation a connue depuis maintenant au moins 15 ans.

Reste une seule question, certes formelle, mais d’importance : quand l’acte de décès officiel sera-t-il déposé par ceux qui se sont accaparés frauduleusement l’héritage ? À quand le changement de plate-forme et la rupture déclarée avec les principes qui ont fondé cette organisation il y a 40 ans ?

RL, janvier 2016.

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Notes:

[1. Révolution internationale #456.

[2. La liste est non exhaustive. Pour le lecteur intéressé (ou l’historien), nous renvoyons au site de la FICCI et de la FGCI. Le lien suivant, http://fractioncommuniste.org/index.php?SEC=b00, dirige sur la page des sommaires de tous les bulletins. Il pourra y trouver les prises de position systématiques et critiques des deux fractions sur tous les congrès du CCI (et de sa section en France) depuis 2001 pour trouver à la fois la dénonciation de ses positions ouvertement opportunistes et l’alternative politique, dans le cadre principiel, théorique et politique des fondements de cette organisation. L’ensemble de ces articles peuvent servir de principale référence pour retracer l’histoire du CCI depuis cette date et même, à un degré moindre, depuis sa fondation.

[3. http://www.pcint.org/ dans la rubrique Textes et thèses.

[4. Il suffit de relever, entre autres, son apologie et son fétichisme de "l’auto-organisation" du mouvement étudiant français (CPE) de 2006 ou encore des "indignés" espagnols.