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Communiqué sur la situation en France – 19 mars 2023

Avertissement : ce communiqué fut rédigé les 18 et 19 mars pour la discussion interne du GIGC et pour préciser ses orientations d’intervention dans la situation de luttes ouvrières en France. Il fut donc écrit avant le rejet de la motion de censure du lundi 20 mars par le Parlement français. Le résultat du vote, il n’a manqué que 9 voix pour que le gouvernement soit renversé, ne change fondamentalement pas l’analyse et la dynamique de lutte qui est en cours. Il n’a fait qu’exacerber encore un peu plus la colère et la combativité d’une part et affaiblir le gouvernement lui-même. Pour autant, le contrôle global de la colère et de la lutte ouvrière par l’ensemble de l’appareil d’État bourgeois, en premier lieu, les syndicats, direction comme base radicale, reste entier pour l’heure et nous ne voyons pas d’indice matériel nous permettant d’entrevoir une rupture dans la dynamique présente. (21 mars 2023)

17 mars : « La France est en proie à des grèves et à des manifestations. » (The Guardian) « Les violentes manifestations qui ont eu lieu pendant la nuit dans tout le pays ont fait craindre que les opposants à la réforme des retraites ne se tournent vers des tactiques plus radicales. » (New York Times) « Un pays en feu. » ( El Confidencial d’Espagne) C’est ainsi que la presse internationale bourgeoise présente le nouveau développement de la mobilisation de la classe ouvrière en France contre la réforme des retraites. C’est assez proche de ce qu’en disent les forces bourgeoises gauchistes en ce 17 mars. Pour le site trotskiste américain World Socialist Web Site, « la colère explose dans la classe ouvrière, qui entre dans une confrontation directe et d’une portée révolutionnaire avec le gouvernement Macron. » [1] Le groupe trotskiste le plus actif en France dans la mobilisation actuelle, Révolution Permanente, très présent dans le syndicat radical SUD, déclare que « le 49.3 [2] a permis à la lutte des masses de déployer des potentialités jusque là contenues par l’intersyndicale. Nous entrons dans un moment pré-révolutionnaire. » [3]

Alors, que se passe-t-il en France depuis le 16 mars ? Le refus du gouvernement Macron de soumettre la réforme des retraites au vote du Parlement a-t-il changé toute la dynamique de la mobilisation prolétarienne en France, qui dure depuis janvier ? Les réactions immédiates dites spontanées, notamment à travers les manifestations de rue dans de nombreuses villes depuis jeudi et qui se poursuivent ce dimanche, se terminant souvent par des affrontements avec la police, présentent-elles une dynamique de débordement prolétarien du contrôle de la situation par l’appareil d’État ? Une remise en cause ouverte des syndicats et de leurs tactiques de journée d’action ? L’extension relative, en nombre, des grèves reconductibles, notamment dans les entreprises de transport et d’énergie, parfois même officiellement sans préavis syndical légal, est-elle une première expression d’un processus ouvert de grève de masse que les syndicats auraient des difficultés à prévenir et même à gérer ? Faut-il donc changer notre orientation fondamentale d’intervention dans la situation actuelle et adopter de nouveaux slogans ?

Nous limiterons ici notre tentative d’analyse à la dynamique de la mobilisation de la classe ouvrière. Nous renvoyons les camarades à notre précédent communiqué du 23 janvier [4] et à notre analyse sur laquelle se fondent les présents commentaires. Rappelons-la brièvement : la dynamique en cours est restée la même jusqu’à ce dernier jeudi et se caractèrise par un contrôle total de la situation par les syndicats, sans qu’aucune tentative de remise en cause de leurs tactiques, encore moins de débordement, ne se soit exprimée à ce jour. De même, il est important de dire que nous ne traiterons pas des difficultés politiques ou des tactiques des partis bourgeois au Parlement et en relation avec le gouvernement. De nombreux journalistes et propagandistes bourgeois présentent la situation comme une crise politique. Si la motion de censure était adoptée lundi prochain, nous devrions alors réfléchir à la signification de la nouvelle situation qu’un tel événement représenterait réellement et signifierait politiquement pour l’appareil et le jeu politiques de l’État.

Jusqu’à l’utilisation du 49.3 et l’absence de vote sur la loi jeudi 16 mars dernier, les 7ème et 8ème journées d’action syndicales, samedi et mercredi derniers, ont rassemblé moins de manifestants que les précédentes même si leur nombre était encore impressionnant. Le nombre de grévistes tendait à se réduire significativement et le scénario le plus probable était de voir des grèves minoritaires et sectorielles de blocage de l’économie, essentiellement dans les transports et l’énergie (électricité et raffineries), durer et épuiser la partie la plus combative du prolétariat, sans aucune possibilité de changer la dynamique défavorable du rapport de forces immédiat. Le passage en force du gouvernement avec le 49.3 a évidemment exacerbé la colère et relancé la combativité : c’était une question, disons d’orgueil, que de réagir face à une politique aussi arrogante et provocatrice. Ensuite, il ne faisait aucun doute qu’une fois le 49.3 connu publiquement, cela provoquerait des luttes spontanées de la partie la plus combative du prolétariat.

1) Les manifestations de rue

Immédiatement après l’utilisation du 49.3, vers 15 heures, des manifestants ont commencé à se rassembler non seulement dans les plus grandes villes du pays mais aussi dans les plus petites. Présentons seulement ce qui s’est passé à Paris, place de la Concorde. Depuis 11 heures, le syndicat radical SUD – et surtout des militants trotskistes radicaux, notamment de Révolution permanente, en particulier de la SNCF et de la Poste – avaient appelé à un rassemblement autorisé par la police. Les forces gauchistes étaient donc déjà sur place en avance. Puis une manifestation étudiante dans un autre quartier de Paris – on a de sérieuses raisons de penser que les trotskistes l’organisaient aussi – a décidé de rejoindre la place de la Concorde. C’est la plus grande place de Paris. Ce n’est pas un lieu habituel des manifestations. C’est très rare qu’il en soit ainsi parce qu’elle est séparée de l’Assemblée nationale, le Parlement, par un pont sur la Seine, qui a été fermé par la police anti-émeute. De l’autre côté de la place, il y a les Champs Élysées, l’ambassade des États-Unis et le palais de l’Élysée, où sont logés les présidents français. Ces avenues ont également été fermées à l’avance par la police. Ensuite, aux informations télévisées en continu, ils ont commencé à filmer le rassemblement et le discours radical des syndicalistes gauchistes et ont même encouragé les gens à le rejoindre : « pour l’instant, il n’y a que 6000 personnes, mais il y en a de plus en plus et il y en aura beaucoup plus dans les heures à venir. Le rassemblement est pacifique... » Et effectivement, beaucoup rejoignirent la place. Petit à petit, sans rien d’autre à faire, les manifestants commencèrent à s’agglutiner et à faire pression sur le barrage policier du pont. Petit à petit, certains ont commencé à rassembler des briques ou pavés et à ériger des barrières de travaux publics, barricades ridicules, contre le barrage de la police. Vers 19h30/20h, les camionnettes et les ballons syndicaux de SUD et de la CGT, qui s’étaient joints aux manifestations, quittèrent les lieux. C’était le signe que la police les avait appelés – nous savons que syndicats et police sont en contact permanent dans ces manifestations « autorisées » – et les avait prévenus qu’elle allait charger et évacuer les lieux. Quelques minutes plus tard, la police chargeait et commençait à évacuer les lieux. Puis, refluant et se dispersant dans les rues, les manifestants ont mis le feu aux poubelles, notamment à celles, nombreuses, dues à la grève des éboueurs. C’est ce que la presse bourgeoise internationale appelle Paris en feu. La même chose s’est produite dans les autres grandes villes du pays cette nuit-là, la suivante et hier samedi. Ainsi, la radicalité gauchiste et anarchiste des manifestations doit être, en elle-même, fortement relativisée, et n’a pour réelle signification prolétarienne que l’impuissance immédiate, face à l’absence de perspectives politiques concrètes.

Manifestation Place de la Concorde organisée par SUD à 16h.
(photo Vincent Gerbet/Hans Lucas/AFP)

De ces faits, nous pouvons conclure que, pour l’instant, la classe dominante contrôle politiquement et même maîtrise le développement des manifestations de rue.

2) Les nouvelles grèves et la 9e journée d’action de jeudi 23 mars

Face au sentiment général de colère et au relatif regain de combativité des prolétaires, l’ensemble des syndicats ont immédiatement appelé à une 9e journée d’action... une semaine plus tard. Certes, l’ensemble des groupes gauchistes a critiqué les syndicats pour cette date tardive, alors que la colère s’est largement étendue avec le 49.3. Pour nous, il s’agit de la tactique habituelle des journées d’action et de la division du travail entre les syndicats officiels et le syndicalisme de base et le gauchisme radical.

Déjà en cours, les grèves dans les raffineries ont été reconduites et le blocage physique des approvisionnement en essence au moyen de piquets de grève s’est systématisé. Les ports tendent à être bloqués du fait de la grève des dockers, en général par des journées d’action et non une grève illimitée, différents centres et dépôts ferroviaires sont en grève, pas tous et pas toujours en majorité. Il y a eu une grève dite sauvage par les syndicalistes SUD locaux dans le technicentre de maintenance de Châtillon pour les lignes ouest des trains à grande vitesse. Les services d’enlèvement des ordures des principales villes sont en partie en grève – à Paris par exemple – depuis maintenant plus d’une semaine, etc. Jusqu’à présent, et sous la direction des syndicats de base gauchistes, toutes ces grèves sont orientées pour faire du 23 mars un succès syndical. Elles s’inscrivent dans ce calendrier. Ainsi, les différentes grèves dispersées sont toujours sous le contrôle de l’ensemble des syndicats, grâce au syndicalisme radical de base.

Or, ces grèves, ainsi que les manifestations à partir du 16 mars, expriment une colère et une combativité prolétarienne renouvelées et radicalisées. Ainsi, si l’on peut dire qu’il était hautement improbable que la dynamique antérieure de la mobilisation puisse être remise en question par les travailleurs jusqu’à l’utilisation du 49.3, en l’utilisant, la classe dirigeante prend le risque de rouvrir un peu cette possibilité, en la transformant en un enjeu politique concret et immédiat entre les classes. Par exemple, il y a eu des signes de mécontentement ouvert et de luttes potentielles, à propos de l’augmentation des salaires, chez Amazon ou dans l’entreprise automobile PSA (Peugeot, Citroën, Audi), dont la mobilisation générale actuelle peut favoriser l’expression ouverte. Depuis le 16 mars et pour une courte période, on ne peut donc plus exclure totalement qu’un nouveau facteur vienne rompre la dynamique actuelle de la mobilisation contre la réforme des retraites et son contrôle par les syndicats, même si c’est peu probable.

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’initiative de Révolution permanente de mettre en place des comités d’action afin de créer et développer un réseau pour la grève générale [5] permettant ainsi au gauchisme d’anticiper sur tout débordement prolétarien. En fait, nous pouvons dire que ces comités, s’ils devaient devenir une réalité, remplaceront certainement les anciennes assemblées interpro des précédentes mobilisations massives de 2010, 2013, 2016 et 2019.

3) Adapter notre orientation et notre intervention ?

Globalement, nous ne proposons pas de changer notre orientation générale. Par exemple, que nous revenions sur une intervention d’agitation directe et massive appelant l’ensemble du prolétariat à faire grève, à l’étendre et à l’unir – par le biais d’un tract par exemple – comme au tout début de la mobilisation en janvier (cf. le tract de B&P-TCI [6] que nous avions repris à notre compte). Tout le « terrain » est encore occupé par l’ensemble des appareils syndicaux et en particulier les appareils de base et gauchistes. Ainsi, nos mots d’ordre ne peuvent être que, formellement, les mêmes que ceux des gauchistes Et donc ils deviennent inutiles dans la situation actuelle [7], voire pourraient jouer objectivement en faveur du sabotage général de toute riposte par les syndicats. Ainsi, le groupe en tant que tel, et le parti, devraient... attendre – en cette occasion, oui ! – les prochains jours pour voir si la faible probabilité de briser le contrôle des syndicats et la dynamique actuelle se concrétise ou non. Nous pourrons alors voir si la dynamique impulsée et maîtrisée par les syndicats est confirmée ou remise en cause et adapter notre intervention en conséquence.

Nous appelons les prolétaires les plus combatifs à participer activement aux grèves ou même à en prendre l’initiative lorsque leur lieu de travail n’est pas encore en grève lorsque c’est possible. Il faut également surveiller de près tout rassemblement de comités de lutte potentiels, même lorsqu’ils sont mis en place par le gauchisme et le syndicalisme, comme le comité d’action de Révolution permanente. Dans ces comités, même s’il n’y a pas d’espace réel ou de porte ouverte pour présenter une alternative réelle de manière immédiate, les groupes communistes doivent intervenir et défendre non seulement les besoins généraux d’extension de toute lutte – tous les participants de ces comités seront formellement d’accord – mais aussi dénoncer les syndicats et surtout appeler à leur disputer ouvertement la direction de la mobilisation et des initiatives. Spécifiquement et concrètement, d’aujourd’hui à jeudi prochain, nous appelons ces organismes à organiser des cortèges spécifiques au sein de la manifestation du 23 mars, avec leurs propres mots d’ordre. Autrement dit, nous avançons et défendons l’orientation consistant à transformer la journée d’action syndicale en une journée d’extension des grèves et de centralisation du mouvement autour du ou des comités, qu’ils s’appellent comités d’action ou assemblées interpro, ou autre, ainsi qu’à étendre le champs des mots d’ordre et des objectifs à l’augmentation des salaires.

Nous arrêtons ici ce communiqué, qui était initialement destiné à notre discussion interne. En le publiant, notre premier souci est de partager cette nouvelle expérience avec tous les camarades. En particulier, il est important que la nouvelle génération internationale de révolutionnaires fasse l’expérience du degré de radicalisation que les syndicats de base peuvent développer et de la façon dont ils peuvent occuper tout le terrain pour empêcher le mouvement prolétarien autonome de se développer. Si cette génération, celle qui créera et dirigera le parti communiste mondial de demain, veut être à la hauteur de ses tâches, elle doit développer son expérience politique et sa capacité à exercer une véritable direction politique de l’ensemble du prolétariat dans le drame historique qui s’annonce.

Le GIGC, 19 mars 2023

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Notes:

[2. L’article 49.3 de la Constitution française permet à tout gouvernement de forcer l’adoption de toute nouvelle loi sans demander le vote du Parlement. En fait, le recours à cette règle constitutionnelle est nécessaire lorsqu’un gouvernement n’est pas sûr de sa majorité au Parlement, au risque que l’adoption de la loi soit refusée. Macron y a eu recours pour l’adoption de la réforme des retraites. Dans ce cas, seule une motion de censure adoptée à la majorité par le Parlement peut empêcher l’adoption de la loi. Mais cela signifie que le gouvernement doit démissionner. D’où la montée de la colère parce que Macron n’a pas respecté la démocratie...

[6. cf. notre communiqué du 23 janvier, Op.cit.

[7. Ce n’est pas parce que notre mot d’ordre pourrait être le même que celui des syndicats ou des gauchistes qu’ils seraient inutiles. Mais parce que c’est le moment, le moment présent. Par exemple, nous pouvons appeler à la grève et à son extension comme le font les gauchistes au début d’une mobilisation. Nous ne sommes pas « anti-syndicalistes » en soi... mais par rapport aux objectifs directs de toute lutte et en fonction des différentes batailles et barricades...

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