Révolution ou Guerre n°16

(Semestriel - septembre 2020)

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Crise capitaliste et offensive bourgeoise contre le prolétariat

La crise capitaliste est là et bien là. Six mois après l’explosion de la pandémie et de la crise, la rupture historique se vérifie et ne fait plus guère de doute, même pour les plus sceptiques. Le monde capitaliste commence à craquer de partout au point que révoltes sociales en tout genre et menaces guerrières se multiplient.

La crise économique, expression et facteur déterminant de l’impasse historique du capitalisme, ne peut que s’approfondir et s’aggraver. Aucune reprise en « V » ou « L », tant débattue par les économistes bourgeois, n’est en vue. Le confinement et la paralysie de plus de la moitié de la production mondiale ne furent pas une simple parenthèse qui, une fois, refermée verrait une reprise normale de l’économie, un retour à la situation d’avant. Preuve s’il en était besoin que la pandémie de Covid-19 n’est pas la cause de la crise. Elle n’a fait que la précipiter et y donner certaines caractéristiques toutes particulières. Tout comme elle peut encore entraver aujourd’hui la soi-disant reprise économique que la bourgeoisie espère sans trop y croire. Elle a beau parler de reprise et relance, la réalité est que la crise économique ouverte ne fait que commencer.

La récession économique ne fait que commencer

Car, après une chute inégalée du PIB mondial au premier semestre 2020 [1], cette reprise reste bien timide. Selon les économistes et media bourgeois, le PIB mondial tardera avant de retrouver son niveau de 2019 dans le cas, peu probable, où aucune crise financière, boursière ou spéculative, n’éclate d’ici là bloquant le système financier international et faisant s’écrouler le marché de la dette généralisée. « Globalement, le PIB de 2021 devrait donc se retrouver quelque 6½ points de pourcentage au-dessous du niveau envisagé par les projections établies en janvier 2020, avant la pandémie de Covid-19 » (FMI [2]). Autre caractéristique inédite : aucune région, aucun continent et pays, Chine comprise, n’ont été épargnés par la chute du PIB. Aujourd’hui, alors que le travail a repris et que la relance devrait être vigoureuse pour rattraper les deux mois de paralysie si le capitalisme était en bonne santé, « la reprise économique reste molle aux États-Unis » (lapresse.ca, 28/8/20) ; en Allemagne, « la production industrielle a progressé de seulement 1,2% en juillet, alors que l’Office fédéral de la statistique (Destatis) tablait sur une hausse de 4,5%. L’indice de la production reste inférieur de 11,4% par rapport à juillet 2019 » (La Tribune, 7/9/20) ; et en France, « l’Institut national de la statistique a toutefois confirmé sa prévision d’une contraction du PIB d’environ 9% sur l’ensemble de l’année 2020, prévoyant qu’’à la fin de l’année, l’activité économique resterait toujours en deçà de son niveau d’avant-crise’, d’environ -4% » (idem, 8/9/20). Nul doute que les données économiques à venir de l’ensemble de l’économie capitaliste mondiale, et des différents pays, viendront confirmer l’absence de reprise telle qu’elle permettrait d’envisager la sortie de crise, voire d’effacer, ni même alléger, les effets dramatiques de celle-ci et le montant de la facture qui va être présentée au prolétariat international.

Le chômage a explosé du fait du confinement généralisé mais la fin de celui-ci n’a pas permis non plus de revenir à la situation d’emploi antérieure. Loin s’en faut. Aux États-Unis, « nous sommes toujours à plus de 11 millions d’emplois de moins qu’en février » [3] alors que les plans de licenciements qui se multiplient tout autour du globe, sont pour la plupart encore à mettre en œuvre. Les conséquences en sont déjà terribles malgré les mesures étatiques de chômage partiel mises en place dans l’urgence par les différents pays et selon leur « tradition » historique, les couvertures sociales étant plus fortes en Europe qu’en Amérique ou en Asie par exemple. Les files d’attente aux soupes populaires et autres Restaurants du cœur ou Secours populaire ont explosé. Les expulsions de logement pour non paiement de loyer ou des mensualités de l’emprunt immobilier commencent à se multiplier, particulièrement en Amérique ou en Grande-Bretagne. La fin des mesures de chômage partiel, fin juillet pour ce qui concerne le Cares Act adopté en mars aux États-Unis et fournissant 600 dollars de prestation par semaine aux chômeurs, vont jeter des millions de prolétaires supplémentaire dans la rue, sans emploi et sans domicile. À cette catastrophe, viennent s’ajouter les plus de 800 000 morts à ce jour et les millions de malades du Covid 19, beaucoup ayant le plus grand mal à récupérer, que les systèmes de santé capitaliste n’ont pu prévenir et soigner faute de moyens, voire de couverture santé minimale dans de nombreux pays. Inutile de préciser ici que ces décès et malades touchent essentiellement les classes sociales les plus pauvres. Avec l’aggravation de la crise, combien d’autres morts et malades sont encore à venir ?

La fuite effrénée dans la dette généralisée [4]

Pourtant les États, surtout les plus puissants, se sont empressés de dégager des trillions de dollars et d’euros pour faire face. Les sommes donnent le tournis. Une infime partie de celles-ci a été dédiée au traitement immédiat du chômage et des faillites d’entreprises, particulièrement en Europe, afin d’éviter une explosion sociale généralisée. Pour l’essentiel, ces sommes – pour celles déjà utilisées – ont servi, comme en 2008 mais à une échelle sans commune mesure, à éviter un blocage du système financier en prévenant une succession de faillites d’entreprises et de défauts de paiement en cascade. Enfin, la plus grande partie de ces sommes vont être destinées soit aux prétendus plans de relance, soit à la sauvegarde du système financier. Dans le premier cas, les États pourront garder la main pour imposer l’usage de ces fonds et plans pour le renforcement et la concentration de chaque capital national en vue d’affronter la concurrence commerciale et impérialiste internationale [5], quitte à sacrifier les secteurs dits non essentiels pour la défense du capital national. Dans le second, les fonds publics, bien qu’indispensables pour maintenir tant bien que mal, le système financier à flot, finiront par se perdre – pour le bénéfice de quelques uns bien sûr – dans la sphère financière et la spéculation. En effet, la plupart des capitaux fournis par les banques centrales, et de fait « privatisés », et à la recherche permanente de profits, jugent insuffisants, et vont juger toujours plus insuffisants, ceux dégagés dans la sphère de la production, ceux obtenus suite à la réalisation de la plus-value extorquée aux prolétaires.

Mais d’où sort tout cet argent ? De nulle part sinon, in fine, de l’émission de papier-monnaie, de la planche à billets. Le phénomène n’est pas nouveau et perdure depuis la fin des accords de Bretton Woods, le dollar monnaie de référence gagé sur l’or, en 1971 [6]. Mais de remède immédiat et ponctuel, l’impression de papier et l’inflation de monnaiesont devenues la règle. Le résultat en est que de 35 dollars, l’once d’or est passé à 1000 dollars lors de la crise de 2008 et atteint aujourd’hui, suite à la pandémie, les 2000 dollars. Le risque d’un écroulement du système monétaire international accompagne donc le celui de l’écroulement du système financier. De remède à l’explosion des déficits budgétaires et à l’endettement public et privé [7], la baisse historique constante – indépendamment des hausses et des baisses ponctuelles du cours de l’or – de la monnaie en relation à l’or devient à son tour facteur de déficits et d’endettement. Depuis la crise de 2008, les politiques des banques centrales de baisse des taux d’intérêt – jusqu’à être négatifs ! – et de Quantitative Easing (QE) qui consiste surtout à racheter de la dette publique en grande partie au secteur financier, banques et fonds privés, et qui représente de fait et en bout de course une « socialisation des pertes et une privation des gains », ont juste permis d’éviter une crise brutale du crédit, son gel, un credit crunch, et la paralysie soudaine du système financier. La moindre faillite d’importance, banque ou entreprise surendettée, risquant d’entraîner une pandémie de faillites ou encore l’explosion d’une bulle spéculative, est aujourd’hui susceptible de reproduire la crise financière de 2008 avec des effets beaucoup plus dévastateurs. Les politiques monétaires actuelles menées par les banques centrales, émission de monnaie par le biais du rachat des dettes publiques, politique de QE, etc., tout comme le rebond des déficits publics, ne sont pas une réponse, impossible à trouver aujourd’hui, à la baisse des profits tirés du capital productif qui fait que les capitaux fuient toujours plus la sphère de la production pour celle, chaque fois plus spéculative, des produits et placements financiers en tout genre et… en particulier sur le marché de la dette. Aujourd’hui, expression de l’impasse, la dette nourrit la dette. Comme dit le prix Nobel 2008, Paul Krugman, « la crise financière de 2008 et la reprise mollassonne qui l’a suivie (…) démontrent à la fois que les dépressions économiques ne sont pas le moment de s’obséder sur la dette et que la réduction des dépenses face à un chômage massif est une terrible erreur [8]. » Pour faire court ici, le résultat en est qu’à l’origine facteur d’accélération de la circulation des marchandises et de l’accumulation du capital, le crédit est devenu un facteur de son ralentissement et freinage, voire un obstacle, du fait du poids excessif de la charge de la dette et de son ampleur sur les entreprises et les États. Le crédit n’est plus au service de la production capitaliste mais c’est celle-ci qui s’est mise au service du crédit et de la dette afin d’éviter l’effondrement brutal.


Évolution de la dette globale par rapport au PIB mondial de 2008 à 2018 (Source Bloomberg, https://www.lynalden.com/global-debt/). Elle est trois fois plus élevée que la richesse produite ! À l’issue du premier trimestre 2020, alors que le confinement était encore loin de s’être généralisé, le ratio passait subitement à 331%, la dette nominale atteignant 253 trillions de dollars. Fin juillet, elle serait déjà de 270 trillions...

La bourgeoisie veut faire payer la facture par le prolétariat… et lui imposer la guerre

Le fossé toujours plus béant entre la valeur de la production mondiale de marchandises et l’émission de papier monnaie et de dettes doit, tôt ou tard, être comblé d’une manière ou d’une autre. Le capital ne peut donc que faire supporter le coût de la facture par le prolétariat international s’il veut maintenir a minima son système à flot. Mais, cela ne suffira pas à résoudre sa contradiction fondamentale à la source du fossé existant. Disposant de plus de forces et moyens de production que ce que ses rapports sociaux peuvent en absorber, le capitalisme est contraint de faire disparaître l’excédent et cela ne peut se faire, du fait de sa dimension, qu’au prix d’une destruction massive de valeur, c’est-à-dire de capital et de travail, concrètement qu’au prix d’une guerre impérialiste généralisée. Comme en 1914-1918 et en 1939-1945, mais à une échelle encore plus large et profonde. Plus destructrice.

Et c’est là où crise et guerre impérialiste se conjuguent pour exacerber les antagonismes et la lutte des classes. La bourgeoisie n’a d’autre choix, que ses dirigeants et gouvernements capitalistes en soient conscients ou pas, que de présenter à la fois, en même temps, la facture de la crise et celle des sacrifices nécessaire pour la marche à la guerre, dans un premier temps ceux indispensables pour privilégier et développer la course aux armements, les productions liées à celle-ci et au militarisme. D’économique, la question devient politique. Sa solution dépend du rapport de force entre les classes, de la capacité de la bourgeoisie à soumettre le prolétariat, principalement aux niveaux politique et idéologique. Car la force et la répression n’y suffisent pas, voire peuvent accélérer la colère et la conscience prolétariennes contre l’État.

Les États-Unis, épicentre de l’offensive bourgeoise

C’est exactement à ce point du cours historique que nous nous trouvons. La classe dominante capitaliste est contrainte, pressée d’autant plus par la catastrophe économique qui explose aujourd’hui, d’engager des confrontations massives contre l’ensemble du prolétariat. Récupérant et utilisant l’émotion, la colère et la révolte légitimes face aux meurtres en série de noirs, mais aussi de blancs, de rouges et de jaunes – puisqu’on nous impose la catégorie « couleur de peau » –, elle a lancé sa première offensive d’envergure aux États-Unis. C’est là que se trouve aujourd’hui l’épicentre de l’évolution du rapport de forces entre les classes.

Identité de couleur et de genre ou identité de classe ? Les deux ne sont pas conciliables et s’opposent. La première nie et exclut la seconde. La première, qui plaît tant aux petit-bourgeois étudiants des campus universitaires, américains surtout, est bourgeoise et son devenir est la division et la défaite sanglante du prolétariat. De manière immédiate, elle détourne la classe exploitée de la défense de ses conditions de vie face à l’explosion de la crise. La seconde est prolétarienne et son devenir est l’unité du prolétariat et l’exercice de sa dictature de classe, c’est-à-dire la destruction du capitalisme. Elle seule montre le chemin de la réponse immédiate à la crise. Aux prolétaires de tous les pays de ne pas se laisser entraîner derrière les campagnes démocratiques, que ce soit au nom de toute identité de couleur ou autres, ce qui ne peut que les diviser, les soumettre encore plus à l’exploitation capitaliste et les amener à des défaites sanglantes. Aux groupes communistes de ne faire aucune concession à cette idéologie identitaire répandue par les forces de gauche et par les gauchistes s’ils veulent œuvrer positivement aux luttes ouvrières qui ne manqueront pas d’éclater face à la crise qui explose, au combat historique du prolétariat et au regroupement réel, c’est-à-dire dans la clarté politique, des révolutionnaires et à la constitution du parti mondial du prolétariat.

Les mots d’ordre de l’heure ? Non aux sacrifices ! Non à l’identitarisme et aux divisions, de couleur et de sexe ! Oui à la lutte de classe prolétarienne ! Oui à l’identité, et à l’unité de classe dans la lutte contre le capital !

10 septembre 2020

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Notes:

[1. Plus de 30% aux États-Unis et au Royaume-Uni, de 20 à 10 % en Europe selon les pays.

[2. FMI, Une crise sans précédent, une reprise incertaine, juin 2020, https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2020/06/24/WEOUpdateJune2020

[3. Paul Krugmann dans un article pour le New York Times (7/8/20) intitulé La misère intérieure brute augmente [Gross Domestic Misery Is Rising], https://www.nytimes.com/2020/09/07/opinion/trump-economy-jobs.html?action=click&module=Opinion&pgtype=Homepage.

[4Pour un développement et une réflexion plus conséquents sur cette question, nous renvoyons le lecteur à l’article de la TCI,la pandémie mondiale et la crise du capitalisme, que nous publions dans ce numéro.

[5. « Boeing obtient un contrat pharaonique de 22 milliards de dollars de la part du Pentagone (…). Si on en doutait encore Boeing est bel et bien soutenu à bout de bras par les États-Unis » (La Tribune, 14/7/2020), « Les États-Unis investissent massivement dans l’informatique quantique et l’intelligence artificielle (…). En toile de fond, la course mondiale à la ’suprématie quantique’, alors que la Chine est soupçonnée d’investissements colossaux dans ce domaine » (idem, 27/8/20).

[6. C’est en fait avec la 1re Guerre mondiale et pour ses besoins que les principales puissances en guerre, Royaume-Uni, France, Allemagne, suspendent la convertibilité de leur monnaie en or. Cette suspension sera réintroduite suite à la crise de 1929 jusqu’à ce que seul le dollar, les accords de Bretton Woods de 1944, soit la seule monnaie relié encore à l’or et les autres monnaies soient définies par rapport au dollar.

[7. Le phénomène, propre à la période historique de décadence du capitalisme, déficits budgétaires, endettements, puis dépréciation de la monnaie par rapport à l’or pour essayer de régler les premiers, a surgi lors de la 1re Guerre mondiale et pour ses besoins, et s’est développé tout au long du 20e siècle, relancé par la crise de 1929, accéléré pour les besoins de la 2e Guerre mondiale, puis devenu permanent, pour finalement décupler depuis la fin de la période de reconstruction, fin 1960-début 1970 jusqu’à son explosion actuelle.

[8. New York Times, Coming Next : The Greater Recession, 14/7/2020.