Révolution ou guerre n°20

(Février 2022)

PDF - 589.1 ko

AccueilVersion imprimable de cet article Version imprimable

Ukraine et Taipei : poudrières dans un monde impérialiste menaçant (Extraits, Communist Workers Organization – TCI)

Avertissement : nous avions traduit nous-mêmes et publié le texte de la CWO qui suit, avant qu’il ne le soit en entier par la TCI elle-même. Nous renvoyons donc nos lecteurs qui voudraient le lire en entier (ce que nous encourageons) à cette version sur les pages en français du site de la TCI.

Nous avons décidé au dernier moment de bouleverser le sommaire que nous avions prévu pour ce numéro de la revue afin de reprendre et traduire au plus vite une partie de l’article Ukraine and Taiwan : Flashpoints in an Uncertain Imperialist World, une partie seulement car il est trop long pour notre revue, que la CWO vient de publier. Armée du principe de l’internationalisme prolétarien, la CWO dénonce avec force l’impérialisme et les bruits de botte croissants. « Si l’on en croit tous les articles de la presse occidentale sur la menace de l’expansionnisme russe en Ukraine ou l’invasion imminente de Taïwan par la Chine, la menace d’une guerre mondiale est plus proche que jamais au cours des six dernières décennies. Au cours des trois dernières, bien sûr, ce sont les puissances occidentales, sous leur pseudonyme de ’communauté internationale’, qui ont pris la tête des invasions, comme en Irak, en Afghanistan et en Libye. Cela ne les empêche pas de se prétendre être les “ gentils ”, de promouvoir la démocratie et les droits de l’homme contre les dictatures corrompues. Disons-le sans ambages : dans un monde impérialiste, tous les acteurs sont amenés à devenir des puissances rapaces qui défendent leur propre cause. Il n’y a pas de “ bons ”. »

Après un historique assez complet et argumenté qui retrace les difficultés de l’impérialisme russe depuis 1945 – la partie que nous ne pouvons pas reproduire faute de place –, l’article met en lumière la polarisation impérialiste de ces dernières années et son accélération actuelle. La nouvelle configuration impérialiste en marche voit se dessiner une polarisation centrale entre les USA et la Chine. Les camarades de la CWO montrent clairement comment la Russie, cherchant à contrer et réagir au “ containment ” américain et de l’OTAN dont elle souffre aussi sur ses propres frontières, ici avec l’Ukraine, est amenée à se rapprocher et s’allier chaque fois plus à la Chine pour contrer les États-Unis. Si elle va jusqu’au bout, cette dynamique mène à la constitution d’un bloc impérialiste chino-russe contre ces derniers.

Aucune mention du rapport présent et concret – de la relation – entre le prolétariat et la perspective à la guerre n’est faite. Il ne fait aucun doute que les camarades de la TCI défendent que la lutte prolétarienne est la seule réelle alternative à la guerre généralisée. Mais nous savons aussi que les camarades de la TCI ne partagent pas notre conception dite du cours historique, c’est-à-dire du rapport du prolétariat à la question de la guerre. Cependant, à l’heure où une organisation comme le Courant Communiste International continue, au nom de la Décomposition, à rejeter toute possibilité et même dynamique vers la guerre impérialiste généralisée – jetant à la poubelle une position fondamentale du marxisme et de la Gauche communiste et semant ainsi trouble et confusion d’ordre opportuniste –, que la principale organisation du camp prolétarien, la TCI, soit claire et déterminée sur cette question est de première importance, à encourager et à saluer. En effet, outre l’aggravation de la crise économique, la dynamique des rivalités impérialistes a des implications concrètes et immédiates quant au développement et contenu de la lutte entre les classes. Face à l’alternative révolution ou guerre, seuls le camp prolétarien, le parti en devenir, et les forces pro-parti en son sein sont en capacité de défendre le principe de l’internationalisme prolétarien de manière conséquente et efficiente – en l’étendant à ceux du défaitisme révolutionnaire, de l’insurrection et de la dictature prolétariennes – et pratique en avançant orientations et mots d’ordre indispensables au développement et à l‘unité des luttes prolétariennes. Personne d’autre ne pourra le faire à leur place.

Le nouvel ordre mondial (CWO-TCI)

Dans un discours prononcé au Kremlin en 2005, Vladimir Poutine qualifiait l’effondrement de l’URSS de « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». [1] Les années qui ont suivi l’éclatement de l’URSS ont été marquées par le triomphalisme de l’Occident, résumé par l’écho ironique du stalinisme selon lequel nous étions arrivés à « la fin de l’histoire. » [2] À l’époque officier du KGB à Berlin, Poutine a ensuite dû observer l’avancée orientale de l’OTAN et de l’UE jusqu’aux anciennes frontières russes. La Russie perdit non seulement les satellites qu’étaient l’Allemagne de l’Est, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie, mais aussi l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Azerbaïdjan et les républiques d’Asie centrale. L’État russe ne pouvait pas faire grand-chose à ce moment-là, car son économie subissait une « thérapie de choc » sur les conseils d’éminents économistes américains. Après la stagnation économique de la perestroïka de Gorbatchev, Eltsine tenta d’imposer en quelques mois une restructuration encore plus profonde de l’économie russe, une restructuration que l’Occident avait mis 20 ans à accomplir. Ce fut un désastre qui a non seulement vu le PIB russe chuter de 40 % en 1999, mais aussi 45 000 entreprises d’État vendues pour une bouchée de pain à ceux qui avaient déjà de solides relations politiques (ainsi que criminelles), créant ainsi une classe d’oligarques se répartissant le butin entre eux. Le point culminant de cette période fut le krach financier de 1998, qui entraîna la dévaluation du rouble et une misère supplémentaire pour une population dont l’espérance de vie diminuait. Poutine considère cette période comme celle où l’Occident a « trompé » ouvertement la Russie en promettant de ne pas étendre l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie.
 [3] Au lieu de cela, l’OTAN et l’UE ont intégré avec enthousiasme dans leur orbite tous les anciens États du bloc de l’Est et certaines parties de l’ancienne URSS, à l’exception de la Biélorussie, de la Moldavie et de l’Ukraine. C’est quelque chose que Poutine veut arrêter, et si possible inverser. C’est pourquoi il parle maintenant de défendre les « territoires historiques » de la Russie comme l’Ukraine.

[Suit ici un passage assez long, détaillé et très intéressant, que nous avons dû couper faute de place, qui retrace l’histoire de l’impérialisme russe de la chute de l’URSS jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Poutine, en passant par les années Eltsine. Nous encourageons les lecteurs anglophones à lire tout l’article.]

Alors pourquoi Poutine rassemble-t-il d’importantes troupes à la frontière ukrainienne pour la deuxième fois cette année ? Tout a commencé lorsque l’administration Biden a signé un accord pour fournir à l’Ukraine 125 millions de dollars d’armement en avril 2021. Le Pentagone a ouvertement déclaré qu’il s’agissait d’une « défense contre l’agression russe ». [4] Cet accord a été suspendu en juin, de sorte que les forces russes ont commencé à se retirer, mais le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, a reconduit la moitié de l’accord lors d’une visite à Kiev en octobre. Le renforcement des troupes russes a donc repris. Et les États-Unis ne sont pas la seule puissance de l’OTAN à armer l’Ukraine. La Turquie a vendu des drones que l’Ukraine a utilisés en octobre pour détruire l’artillerie séparatiste à Louhansk. [5] Et les Britanniques, toujours à la recherche de marchés d’armes dans le monde entier, ont également participé à l’opération en vendant des missiles à l’Ukraine. Pour affirmer sa loyauté à l’égard de l’Alliance occidentale (c’est-à-dire pour s’attirer les faveurs de Washington), la Royal Navy a envoyé le destroyer de type 45, HMS Defender, sur une route délibérément provocatrice à moins de 5 miles des côtes de Crimée. [6]

Poutine et l’Occident jouent ainsi à ce que l’on appelait, lors de la première guerre froide, la « politique de la corde raide ». Il s’agit d’un jeu à la fois théâtral et sérieux, qui risque toujours de tourner aux « malentendus ». Poutine a vu que les États-Unis ne peuvent plus être le gendarme du monde. Au cours des dix dernières années, ils se sont retirés de Syrie (la Russie a ainsi sauvé le régime Assad), d’Irak et d’Afghanistan, ne laissant derrière eux que chaos et misère. Il est conscient que l’Occident et l’Europe sont divisés sur la manière de contrer sa volonté de revenir sur les 30 dernières années d’expansion de l’OTAN. Il est également conscient de la faiblesse relative de la Russie face aux forces combinées de l’OTAN. L’armée ukrainienne de conscrits est la troisième plus grande d’Europe (plus de 700 000 hommes) et fait l’objet d’une réforme et d’une réorganisation qui, avec les armes nouvelles et sophistiquées des puissances de l’OTAN, la rendra plus efficace. Poutine craint que l’Ukraine ne soit bientôt assez forte pour récupérer le Donbass. Il sait aussi qu’il y a des situations dans lesquelles la neutralité est plus importante que l’action. Ainsi, dans le Caucase, en 2020, il est resté neutre dans la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, permettant au soutien inconditionnel d’Erdoğan à l’Azerbaïdjan d’entraîner une défaite rapide de l’Arménie. [7] Il semble avoir appris de l’Afghanistan – via l’aventure de Brejnev dans les années 1980 et la débâcle américaine après vingt ans dans ce pays – que toute action militaire doit être soudaine, courte et tranchante. L’avantage supplémentaire de cette situation est que les puissances occidentales n’ont pas de politique arrêtée sur la façon de traiter une politique russe plus agressive dans sa propre arrière-cour, et où il y a toujours la possibilité d’exploiter leurs divergences sur des questions telles que le Nord Stream 2.

Trump a notoirement aggravé ces divisions en critiquant certains des « alliés » les plus importants de l’OTAN. Depuis, M. Biden a rétabli de bonnes relations avec ses alliés européens, mais ceux-ci craignent toujours que les États-Unis ne concluent un accord avec Poutine sans les consulter et les laissent se débrouiller avec ses conséquences. Blinken, le secrétaire d’État américain a déjà concédé que Nord Stream 2 sera mis en service en 2022 (bien que le nouveau gouvernement allemand ne l’ait pas encore déclaré), tout en obtenant de la chancelière sortante Merkel qu’elle accepte l’éventualité de sanctions conjointes supplémentaires si la Russie commençait à interrompre l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine.

Les États-Unis veulent vraiment se concentrer sur la menace bien plus dangereuse pour leur domination mondiale qui vient de la Chine. Bien que la rhétorique soit différente, « le pivot vers l’Asie », et la nécessité de couper les faux frais [en français dans l’original, ndt.] de son emprise impérialiste ailleurs, sont à peu près les seules questions qui unissent la majeure partie de la classe dirigeante américaine (de Trump à Biden). Dans le cadre de la nécessité de se concentrer sur la Chine, le retrait ignominieux d’Afghanistan a été négocié par l’administration Trump dont les concessions aux talibans ont sapé le gouvernement afghan [8] au point que seul un réengagement massif des troupes américaines aurait pu le préserver. Biden était tout aussi critique de la futilité de l’aventure afghane que Trump, et n’a donc rien fait pour empêcher la débâcle de Kaboul. Bien qu’il y ait beaucoup de fanfaronnades à propos des « lignes rouges » et des « conséquences graves pour les deux parties », la perspective de réunions à Genève en janvier et d’un face à face entre Biden et Poutine en février devrait garantir que le théâtre actuel autour de l’Ukraine se poursuivra au cours de la nouvelle année. Pour preuve, Poutine a retiré 10 000 soldats des « exercices » la veille de Noël, ce qui laisse encore environ 90 000 soldats à la frontière orientale de l’Ukraine et en Crimée. Toutefois, alors que les États-Unis se concentrent davantage sur la « menace chinoise » et souhaitent traiter la Russie séparément, cette distinction pourrait être plus difficile à maintenir au vu des récents développements entre ces deux États. L’année dernière en particulier, la Russie et la Chine ont cherché à renforcer leur coopération.

La Russie et la Chine vs les États-Unis

[Nous avons retiré ici deux paragraphes qui retracent les relations entre feu l’URSS et la Chine, puis présentent le développement de relations économiques étroites et croissantes entre la Russie et la Chine ces dernières années.]

Depuis 2014, les sanctions américaines contre les deux États ont fait en sorte que le rapprochement Chine-Russie aille au-delà de la coopération économique. Alors que les États-Unis se démenaient pour faire extraire les gens de Kaboul en août, les deux pays s’engageaient dans des « exercices conjoints à grande échelle pour la première fois sur le territoire chinois ». [9] En octobre, des navires de guerre chinois et russes ont organisé des manœuvres conjointes dans le Pacifique, complétant au passage un quasi-encerclement de l’île principale du Japon. Puis, le 19 novembre, les deux armées ont envoyé des bombardiers dans les zones de défense aérienne du Japon et de la Corée du Sud, « obligeant Séoul à faire décoller ses avions de chasse en réponse ». [10] Quatre jours plus tard, les ministres de la défense de la Russie et de la Chine ont signé une « feuille de route pour une coopération militaire plus étroite » pour les quatre prochaines années, en invoquant les menaces aériennes des États-Unis. [11] Le document ajoute que les deux pays partagent le désir de contrer l’idéologie américaine perçue comme étant « le militarisme, l’interventionnisme et l’imposition forcée des valeurs américaines aux autres pays. » [12] Et bien sûr, cette nouvelle alliance militaire est « une contribution à la paix. »


Vladimir Poutine et XI Jinping ensemble à Pékin, le 4 février 2022
(Alexei Druzhinin, Sputnik, Kremlin Pool Source : AP)

Si cela semble familier, c’est parce que nous avons été soumis à exactement la même propagande de la part des États-Unis et de leurs alliés. Bien qu’ils restent les forces les plus puissantes de la planète, tant sur le plan économique que militaire, représentant ensemble 60% des dépenses mondiales en armement, ils veulent que cela reste ainsi. Comme Biden l’a clairement indiqué plus tôt cette année : « je veillerai à ce que la Chine n’atteigne pas son objectif de devenir le premier pays du monde, le pays le plus riche du monde et le pays le plus puissant du monde. » [13]

Toutefois, dans la région indo-pacifique, les États-Unis n’ont pas d’alliance comme l’OTAN, avec ses structures intégrées de commandement et de contrôle. En fait, la seule des alliances asiatiques conclues par les États-Unis qui dispose d’une telle structure est celle conclue avec la Corée du Sud. Pendant la guerre froide, les États-Unis ont tenté de créer un équivalent de l’OTAN dans la région, l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est, ou SEATO. Cette organisation n’est toutefois jamais devenue une véritable alliance militaire et n’avait pas d’ennemi commun comme l’URSS en Europe ; elle a donc été dissoute en 1977. Les États-Unis tentent aujourd’hui d’inciter les alliés de l’OTAN à assumer une plus grande partie du coût des dépenses militaires contre la Russie dans leur propre arrière-cour, tout en essayant de créer une série d’alliances contre la Chine qui pourraient, à terme, correspondre au type de coopération étroite dont jouissent les États de l’OTAN.

Il n’est pas difficile pour les États-Unis de dresser l’épouvantail d’une « menace chinoise ». Les exercices militaires chinois simulant une invasion de Taïwan, ou le survol constant de l’espace aérien de Taïwan, viennent s’ajouter à l’image réelle d’une Chine s’affirmant toujours plus. [14] La construction d’îles artificielles dans la mer de Chine méridionale, l’insistance sur le fait qu’il s’agit pratiquement de sa Mare Nostrum et les différends avec le Japon, le Vietnam, les Philippines et autres États de la région sont bien réels. La milice maritime chinoise (des centaines de bateaux de pêche armés) est utilisée pour faire valoir la revendication de la Chine de contrôler diverses îles, sans pour autant faire officiellement partie de l’appareil d’État. [15]

Dans le même temps, les États-Unis intensifient également la question idéologique. La répression des Ouïghours au Xinjiang et le démantèlement de l’opposition démocratique à Hong Kong, ainsi que le contrôle de plus en plus autoritaire que le président Xi exerce sur le Parti communiste chinois, correspondent tous au discours américain « nous défendons la démocratie ». En février 2021, Biden l’a rendu plus explicite. « Nous sommes à un point d’inflexion entre ceux qui affirment que (…) l’autocratie est la meilleure voie à suivre et ceux qui comprennent que la démocratie est essentielle. » [16]

En jouant sur ces menaces militaires et idéologiques, les États-Unis ont multiplié les alliances, tant formelles qu’informelles, dans le cadre de leurs manœuvres visant à conserver leur position dans le grand jeu de la domination mondiale. Parmi ces alliances, citons le Dialogue quadrilatéral sur la sécurité (Quad), qui regroupe les États-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde, l’organisation de partage des renseignements Five Eyes, qui regroupe les États anglophones des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, et, plus récemment, l’accord controversé conclu par les États-Unis avec l’Australie et le Royaume-Uni, AUKUS.

L’opération Five Eyes consiste essentiellement à ce que les États-Unis informent leurs alliés de ce qu’ils ont appris des avancées chinoises. Le Quad organise chaque année des manœuvres navales conjointes dans toute la région Asie-Pacifique depuis les années 1990. L’exercice 2020 a eu lieu au large de la côte de Malabar et a bénéficié de la présence des marines de la Nouvelle-Zélande, de la Corée du Sud et du Vietnam. C’est au cours de cet exercice que la création d’une « OTAN » pour la région Asie-Pacifique a été ouvertement discutée pour la première fois. Un pas supplémentaire vers une nouvelle alliance anti-chinoise dans le Pacifique a été franchi cette année avec la formation de l’AUKUS. Nos camarades australiens en ont résumé les objectifs :

« Le 15 septembre, dans le cadre des efforts renouvelés déployés par les États-Unis sous la direction de Biden pour rassembler ses alliés contre la Chine, Biden, Morrison et Johnson ont signé le pacte AUKUS, qui prévoit non seulement que l’Australie construise désormais des sous-marins nucléaires au Corp d’Osborne, en Australie-Méridionale, mais aussi le renforcement de l’interopérabilité militaire, de nouvelles formes de réunions et d’engagements entre les ministres et les responsables de la défense et des affaires étrangères, ainsi qu’une coopération approfondie dans les domaines de la cybernétique, de l’IA appliquée, des technologies quantiques et des capacités sous-marines. » [17]

Et pour couronner l’année 2021, le Japon et les États-Unis ont maintenant concocté un plan en cas d’attaque chinoise sur Taïwan : « selon ce plan, le corps des marines américain installerait des bases temporaires sur la chaîne d’îles Nansei qui s’étend de Kyushu – l’une des quatre îles principales du Japon – à Taïwan au stade initial d’une situation d’urgence à Taïwan et déploierait des troupes… » [18]

Ces alliances aident énormément à consolider la puissance américaine, en particulier contre le défi croissant présenté par la Chine. Il y a beaucoup d’ironies dans cette situation contradictoire dans laquelle l’impérialisme est tombé. La montée en puissance de la Chine s’est fondée sur l’injection de doses massives de capital occidental qui n’a pas pu trouver des niveaux de profit suffisants chez lui après les années 1970. Les produits de base chinois bon marché, produits par la classe ouvrière chinoise fortement exploitée, ont non seulement permis aux économies occidentales de se restructurer face à une crise économique mondiale d’accumulation, mais ont également conduit à la création d’un géant économique qui affirme ouvertement qu’il deviendra la puissance dominante du monde d’ici 2049, défiant le pays même d’où provient son capital initial. Cela met certainement à mal la notion capitaliste selon laquelle le commerce, en particulier le « libre-échange », favorise une paix durable, mais toute l’histoire de l’impérialisme l’a déjà amplement démontré. L’Occident est choqué par le fait que l’adoption du « marché » par la Chine n’a pas automatiquement conduit à l’effondrement du pouvoir du parti communiste. On a supposé qu’elle suivrait le chemin de l’URSS. Plus de trente ans après le massacre de Tiananmen, le pouvoir du Parti semble plus fort que jamais.

La véritable crainte des États-Unis est que la croissance économique de la Chine lui permette de renverser le rapport de force existant. Pour l’instant, cela semble bien loin et le dollar règne toujours en maître dans le commerce mondial, sans rival sérieux, comme c’est le cas depuis 1945. Cependant, certains signes sont inquiétants pour les États-Unis. L’initiative chinoise « Belt and Road », déjà analysée dans ces pages. Mais aujourd’hui 142 États y ont adhéré de manières diverses. Il y a des problèmes avec beaucoup de ces pays, mais le projet se poursuit. Dans le même temps, le retrait de Trump du Partenariat transpacifique a ouvert la porte à la Chine pour parrainer un bloc commercial alternatif, le Partenariat économique global régional (RCEP).

« Le bloc commercial RCEP est le plus important au monde, tant en termes de population que de PIB, puisqu’il représente environ 30 % du total mondial dans chaque cas. Les pays membres du RCEP sont l’Australie, Brunei, le Cambodge, la Chine, l’Indonésie, le Japon, le Laos, la Malaisie, le Myanmar, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Corée du Sud, la Thaïlande et le Vietnam. Cela équivaut à une valeur de marché de près de 25 000 milliards de dollars américains et à une base de consommateurs totale d’environ 2,5 milliards, dont environ un milliard de consommateurs de classe moyenne. C’est à peu près l’équivalent de 3 x les États-Unis. » [19]

Le bloc commercial vise à réduire à zéro les droits de douane sur 92 % des biens échangés par ses membres. Même si de nombreux économistes pensent que cela ne représentera pas grand-chose, cela pourrait changer la donne. La Chine s’est remise de la pandémie plus rapidement que prévu. Ses exportations annuelles ont augmenté de 22 % en novembre 2021, ce qui représente sa plus forte croissance en dix ans. En revanche, le secteur immobilier chinois est en crise après la défaillance du conglomérat Evergrande le 6 décembre dernier. Le secteur immobilier chinois représente environ un tiers de la production économique totale, ce qui ne manquera pas d’avoir un effet négatif sur les chiffres de la croissance globale pour 2022.

Même sans la pandémie, la situation actuelle n’est pas aussi prévisible que la rivalité d’après-guerre entre l’URSS et les États-Unis. Alors que Poutine tente ouvertement de rétablir l’équilibre des forces aux frontières sud et ouest de la Russie [20], les États-Unis ont également qualifié la Chine de puissance « révisionniste ». À eux seuls, les États-Unis disposent toujours, du moins sur le papier, d’une puissance militaire suffisante pour affronter non seulement la Russie et la Chine, mais aussi les cinq autres puissances mondiales. Leur budget militaire passera à 750 milliards de dollars cette année, mais alors que ce chiffre représentait 6 % de leurs dépenses à l’époque de Reagan, il en représente aujourd’hui 15 %. Il est peu probable qu’il diminue étant donné à la fois la gravité de la menace perçue (naturellement évoquée par les militaires et les industries qui obtiennent les contrats) et le développement constant de nouveaux types d’armement. En fait, une course aux armements dans le domaine de la cyberguerre, de la guerre des drones et des systèmes de défense antimissile se poursuit à un certain rythme, le tout motivé par la crainte de perdre un avantage stratégique dans un domaine quelconque.

Le plus inquiétant est l’idée de plus en plus répandue parmi les militaires que des armes nucléaires tactiques à faible rendement pourraient être utilisées sur le champ de bataille. En février 2020, les États-Unis ont mené un exercice militaire simulant l’utilisation d’une arme nucléaire lancée par un sous-marin contre la Russie [21] (qui, selon les renseignements américains, envisage également cette possibilité). En outre, la Chine dispose de nouvelles armes qui pourraient neutraliser la supériorité des États-Unis en matière de porte-avions, comme le missile « tueur de porte-avions » Dongfeng-41 (East Wind) [22], tandis que son récent essai d’un véhicule hypersonique [23], qui aurait lancé un missile en se déplaçant à cinq fois la vitesse du son, n’a fait qu’intensifier la course aux armements. La question que l’on peut se poser est « où cela nous mène-t-il » ? Les armes ne se mangent pas et ne peuvent pas être utilisées pour créer quoi que ce soit. En tant qu’outils, elles ont une utilité limitée pour la chasse à la faune et à la flore sauvages en déclin de la Terre, mais à part cela, elles ne font que rapporter de l’argent à ceux qui les vendent aux nombreuses parties belligérantes dans les conflits « locaux x du monde, du Sahel et de la Syrie à l’Éthiopie et au Yémen. Ils apportent la misère à des millions de personnes, mais l’ampleur de la souffrance actuelle n’est rien comparée à ce que le système est en train de préparer.

Le boom qui a suivi la Seconde Guerre mondiale reposait sur la destruction massive de capital, qui a permis le démarrage d’un nouveau cycle d’accumulation. L’ampleur de cette destruction était suffisante pour qu’aucune puissance ne s’engage à la légère dans une guerre généralisée. Les coûts devaient être pesés dans la balance. Cependant, le boom a pris fin au début des années 70, et le système a titubé d’un expédient à l’autre pour survivre. Le transfert d’une grande partie de la capacité de production vers la Chine n’était que l’un d’entre eux, mais aujourd’hui, cela a simplement reproduit une rivalité impérialiste du type le plus dangereux, avec de nouvelles alliances et une nouvelle course aux armements hautement sophistiquée dans de nombreux domaines. Il est impossible de prévoir quand cela débouchera sur un conflit plus généralisé, bien que l’amiral Davidson, l’ex récent chef du commandement américain pour l’Indo-Pacifique, ait ouvertement déclaré que ce serait dans « les six prochaines années » (tout en appelant, bien sûr, à une augmentation du budget militaire). [24] Le système nous entraîne inexorablement sur cette voie plus que dangereuse. L’étincelle réelle pourrait ne pas être l’Ukraine ou Taïwan, mais en ces temps incertains, rien ne peut être exclu. Il s’agit d’une lutte pour la maîtrise de la planète, et elle ne disparaîtra pas. Comme l’ont conclu nos camarades italiens dans un récent article sur Taïwan :

« Il est évident que le capitalisme prépare un nouveau conflit d’importance mondiale et n’a pas peur de pousser la planète au bord du gouffre, non seulement sur le plan environnemental, mais aussi, désormais ouvertement, sur le plan économique et social. Même si c’est parfois inconscient, le capitalisme poursuit l’idée que tout être humain sensé déteste et rejette instinctivement l’idée de la destruction, comme son salut, sa résurrection. En dévalorisant le capital et en obtenant la ’destruction créatrice’ tant désirée selon la fameuse définition de Schumpeter, le capital aurait alors ouvert la voie pour relancer un nouveau cycle d’accumulation comme après les guerres précédentes, sans se soucier des effets que cette ’régénération’ aurait sur la planète et sur sa population... » [25]

Communist Workers’ Organisation, février 2022

Accueil


Notes:

[1. cf. ’Putin deplores collapse of USSR’. BBC News. 25 April 2005.

[2. Marx a toujours affirmé que l’instauration du communisme serait « le début de la véritable histoire humaine ».

[3. Un point qu’il a répété encore dernièrement comme le rapporte le Financial Times. cf. digital.olivesoftware.com

[4. nbcnews.com

[5. themoscowtimes.com

[6. Le gouvernement britannique a d’abord tenté de nier que ce fut une provocation et que cela ne concernait que la Royal Navy, mais la découverte de documents du ministère de la Défense à un arrêt de bus dans le Surrey, laissés par le candidat ambassadeur auprès de l’OTAN, a révélé que c’est précisément ce qui a été discuté "au plus haut niveau" bbc.co.uk L’ambassadeur n’a pas obtenu le poste !

[7. See leftcom.org

[8. See leftcom.org

[9. militarytimes.com

[10. aljazeera.com

[11. militarytimes.com

[12. idem.

[13. Quoted in amp.theatlantic.com

[14. For a more detailed analysis of what is going on around Taiwan see leftcom.org

[15. aljazeera.com

[16. Also quoted at amp.theatlantic.com

[17. leftcom.org

[18. theguardian.com

[19. silkroadbriefing.com

[20. Of which the rapid use of Russian and Belarusian troops to save the government in Kazakhstan from a “popular uprising” is another example.

[21. theguardian.com

[22. businessinsider.com

[23. theguardian.com

[24. news.usni.org

[25. leftcom.org