Révolution ou guerre n°18

(8 mai 2021)

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Quel avenir pour la revue 1919 de la TCI en Amérique du nord ? Publication de la Gauche communiste ou cheval de Troie du gauchisme ?

« Les idées révolutionnaires ne sont la propriété d’aucune organisation, et les problèmes de chaque composante du camp prolétarien sont l’affaire de tous. Tout en réservant notre droit de critique, nous devons saluer sans réserve tout mouvement, dans les autres organisations, qui nous paraît exprimer une dynamique positive. Les questions soulevées par le congrès de World Révolution sont trop importantes pour rester les affaires privées d’une quelconque organisation, elles sont, et doivent devenir visiblement le problème de tout le milieu prolétarien. » (Workers’ Voice n°20, revue de la CWO dans les années 1980)

Les nouvelles sections nord-américaines de la TCI [1] qui se présentent comme « affiliées à la Tendance communiste internationale » ont entamé la publication d’une revue intitulée 1919. Elle serait le résultat d’un processus de discussion et de clarification politiques autour de l’ancienne revue Intransigence. Si, en soi, toute nouvelle publication affiliée à un groupe de la Gauche communiste est bienvenue et à saluer, la lecture de son premier numéro nous laisse pour le moins dubitatifs. Nous craignons qu’elle soit loin de représenter un véritable pas en avant pour la présence politique de la Gauche communiste en Amérique du Nord. En effet, d’une part, il n’est fait aucune référence aux points et positions politiques sur lesquels les camarades se sont regroupés, au contenu des débats ayant animé Intransigence, aucune référence non plus aux positions programmatiques de la Gauche communiste et même à la plateforme que la TCI vient pourtant d’actualiser et de publier. Comme le défendait Lénine dans son combat contre les mencheviks : « Devenu membre du Parti, je suis obligé (...) de me référer à telle ou telle disposition formellement établie de notre programme [2]. »

D’autre part, et même s’il y aurait bien des aspects à traiter, de l’analyse parfois intéressante des intérêts impérialistes derrière la course aux vaccins à la défense à peine voilée des principes de la charité chrétienne [3], l’analyse et la position politiques adoptées sur la lutte des classes aux USA est politiquement très préoccupant. En effet, dans ses analyses et orientations politiques concernant les émeutes et manifestations découlant de l’assassinat tragique de Georges Floyd ainsi que l’invasion du Capitol par des militants trumpistes, 1919 est incapable de se démarquer de la campagne idéologique et politique menée par l’ensemble des partis et groupes de la gauche du capital américaine. Encore une fois, la mention et la référence explicite aux questions de programme et de frontières de classe, surtout pour un premier numéro, auraient sans doute aidé les nouveaux affiliés à limiter l’ampleur des concessions à la gauche capitaliste qui sont avancées dans cette revue.

La revue conçoit les émeutes et manifestations ayant suivi l’assassinat de G. Floyd comme un mouvement authentiquement de classe, comme « une réponse intense de la classe ouvrière (...) contre l’État policier et l’État capitaliste. » Elle base son assertion sur une vision étroitement sociologique des manifestations, « la composition de classe de ces manifestations initiales était également largement prolétarienne. » Les individus participant aux émeutes sont largement des prolétaires. Ce doit être forcément un mouvement de classe ! Or, en faisant cette analyse réductrice, 1919 tourne le dos aux leçons de la Gauche communiste. La composition sociale d’un mouvement peut certes avoir sa signification, mais ce qui compte en première instance est son orientation politique. Par exemple, la Gauche communiste dénonça la fausse alternative entre fascisme et antifascisme durant la guerre civile espagnole parce que les combats sur les fronts militaires, dont les soldats étaient pourtant largement prolétaires, visaient la défense de la république bourgeoise. Comment 1919 fait-elle pour être autant aveugle face à la même fausse alternative entre racisme et antiracisme qui se joue actuellement aux USA ?

« Le mot d’ordre et le mouvement pour "abolir la police" (...) sont clairement une menace pour la classe capitaliste car il remet en question l’institution du maintien de l’ordre. » Comment une publication de la TCI peut-elle reprendre à son propre compte un mot d’ordre aussi caricatural de l’anarchisme radical petit-bourgeois ? Comment 1919 peut par la suite se plaindre que dans un deuxième temps le mouvement ait adopté le slogan moins « prolétarien », selon elle, « defund the police » [arrêter de financer la police] ? Comment peut-elle être aussi ignorante devant les manœuvres gauchistes de mouvements comme Black Lives Matter et de tout l’appareil d’État, à commencer par le parti démocrate ? Ce mouvement ne vise qu’à rénover la démocratie bourgeoise en la purgeant de ses vieilleries racistes et a d’ailleurs réussi largement à rabattre de nombreux prolétaires vers la démocratie bourgeoise puisque la participation électorale aux dernières présidentielles a atteint un taux jamais vu depuis des décennies.

La réappropriation défaillante des positions de la Gauche communiste entraîne 1919 à faire sienne la phraséologie radicale de l’anarchisme : « Le mot d’ordre "abolir la police" fut remplacé par le mot d’ordre réformiste "defund la police". Alors que certains défendaient cette évolution en ligne avec l’abolition de la police, car le "définancement" était supposé être la méthode pour atteindre l’objectif de l’abolition, l’adoption de ce dernier mot d’ordre indiqua clairement un éloignement de toute sorte de politique radicale et de retour en arrière vers le terrain institutionnel et bourgeois. La police n’est dès lors plus destinée à être combattue ou abolie dans les rues, ou dans les mains de l’auto-organisation de la classe ouvrière, mais était appelée au contraire à se tenir dans les édifices gouvernementaux de l’État capitaliste. (….) Ces manifestations cessèrent d’être une menace pour la classe capitaliste. (…) Cette nouvelle orientation de classe des manifestations est un autre outil utile pour examiner pourquoi il y eut de telles différences dans la présence policière entre les manifestations de juin du Black Live Matter et l’assaut du Capitol la semaine dernière. »

Est-ce que les nouveaux membres de la TCI aux États-Unis se rendent compte que leur argumentation gauchiste les amène à défendre que les manifestations appelées et organisées par le Black Lives Matter (BLM) en juin étaient prolétariennes, ou du moins « une menace pour la classe capitaliste » ? Se rendent-ils compte aujourd’hui que la soi-disant remise en question « de l’institution du maintien de l’ordre » par les manifestants était en réalité, du point de vue de classe, une expression et un facteur du maintien de l’ordre politique et idéologique capitaliste contre les prolétaires et visant à les mobiliser sur le terrain bourgeois de l’antiracisme interclassiste et de l’identitarisme, c’est-à-dire derrière le parti démocrate et l’État ? Se rendent-ils compte qu’ils se sont retrouvés, non pas à l’avant-garde du prolétariat, mais à la queue du gauchisme petit-bourgeois et de la campagne lancée par le parti démocrate et ses satellites gauchistes, BLM et autres identitaires anarchistes sortis des universités américaines ?

Le rôle des communistes est de défendre à tout moment les intérêts historiques du prolétariat. Concrètement, cela se traduit en intervenant dans les luttes prolétariennes en répondant aux besoins et nécessités des luttes elles-mêmes. En d’autres termes, il faut toujours mettre de l’avant l’indépendance et l’autonomie politique du prolétariat, « la défense de l’autonomie de la classe ouvrière face au capital » comme le souligne la plateforme de la TCI elle-même, ainsi que la nécessaire extension des luttes au-delà de leurs prémisses géographiques de base. Il faut aussi que les communistes assument le leadership politique de l’affrontement vis-à-vis de l’État bourgeois qui est toujours implicite dans chaque lutte qui part de la défense des conditions de vie de prolétaires. Il est tout à fait nocif et dangereux du point de vue politique de courir après les campagnes idéologiques de la gauche du capital en espérant pouvoir ensuite les rendre prolétariennes par la magie du Saint-Parti. Tout au contraire, « les organisations politiques révolutionnaires devront être en position de mener les batailles politiques et organisationnelles nécessaires contre les forces de la gauche bourgeoise [qui] ne sont plus aujourd’hui que les organes du totalitarisme capitaliste » indique de nouveau, et à raison, la plateforme de la TCI.

Il faut être clair sur la question du racisme. Comme pour le fascisme durant les années 1920-1930, la seule lutte qui sera en mesure de vaincre le racisme est la lutte pour la destruction du capitalisme par le prolétariat et à partir de son terrain de classe, de ses revendications de classe. L’idéologie moderne de l’antiracisme bourgeois basé sur les identity politics ressemble en bien des points aux coalitions interclassistes défendant la démocratie bourgeoise contre le fascisme durant l’entre-deux-guerres. Les mouvements comme Black Lives Matter ne visent qu’à rabattre les prolétaires, et en particulier les prolétaires noirs dont leurs sentiments de révoltes contre les assassinats racistes sont absolument légitimes, vers la défense d’une démocratie et d’un capitalisme non raciste, alors que leurs véritables ennemis sont justement la démocratie et le capitalisme.

L’orientation politique des groupes de la Gauche communiste ne doit pas être d’essayer de radicaliser davantage la gauche du capital. Celle-ci n’est pas une espèce d’avant-garde de la lutte de classes à laquelle manquerait seulement davantage de clarté politique. La gauche du capital a une fonction historique : égarer le prolétariat de son chemin de classe pour le rabattre sur les « solutions » illusoires capitalistes : l’union nationale et la guerre. La frontière de classe entre eux et nous doit être parfaitement définie. Nous appelons donc 1919 à ne pas s’adapter aux positions locales de la gauche du capital américaine, mais à défendre les positions du prolétariat international en se basant sur les positions et la plateforme politique de l’organisation internationale chapeautant la revue, c’est-à-dire celles de la Tendance Communiste Internationaliste.

Robin, avril 2021

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Notes:

[1. cf. notre salut à l’adhésion du “ 2e ” Klasbatalo à la TCI et nos commentaires critiques quant aux manques que nous relevions déjà dans le processus de clarification politique. (http://igcl.org/Salut-a-l-adhesion-de-Klasbatalo-a).

[2. Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/05/vil19040500.htm

[3. Il faut le voir pour le croire : « Nous étendons notre solidarité à tous les autres travailleurs du monde entier et les invitons à prendre toutes les mesures possibles pour assurer leur sécurité et celle des autres. Nous encourageons les gens à donner leurs cadeaux non désirés et leurs restes de nourriture à ceux qui vivent dans la rue ou qui ont du mal à joindre les deux bouts, plutôt que de les jeter. Toute la nourriture que vous n’aurez pas mangée avant qu’elle n’expire ? Quelqu’un d’autre la mangera. (...) C’est en tissant des liens avec d’autres travailleurs et en reconnaissant que le véritable ’ nous sommes tous ensemble dans cette situation ’ est notre lutte commune, même si variée, que nous pouvons non seulement aider à mieux combattre les sentiments quotidiens d’aliénation, d’impuissance et de solitude, mais aussi travailler au renversement révolutionnaire de l’état actuel des choses. »