Révolution ou Guerre n°5

(Février 2016)

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Réflexions sur les élections nationales en cours...

En 2015, différentes élections ont provoqué le surgissement de nouveaux partis politiques bourgeois, parfois tout juste créés comme en Espagne, au premier plan du jeu politique national – voire même en position de participer au gouvernement. Ces nouveautés électorales ont-elles une dimension internationale et une signification politique particulière pour le prolétariat ? C’est à cette question que les deux articles qui suivent, essaient de donner une réponse. Les élections à venir en 2016, en particulier le résultat des élections présidentielles américaines, viendront aider à la compréhension des politiques que la bourgeoisie essaie de mettre en place pour la période actuelle.

Élections canadiennes d’octobre 2015 : le plus long cirque électoral dans l’histoire canadienne

Le show électoral a amené un changement au sein de la bourgeoisie canadienne. Après presque dix années au pouvoir, le parti conservateur de Stephen Harper a été remplacé par le parti libéral de Justin Trudeau [1] le 19 octobre. Presque tous les grands journaux de la bourgeoisie ont appuyé son élection. Le parti conservateur voulait maintenir coûte que coûte le budget fédéral avec un déficit zéro. Le NPD (Nouveau Parti Démocratique) avait le même objectif. Le parti libéral et le parti vert (qui prône l’impossible un capitalisme écologique) mettaient de l’avant des budgets déficitaires.

Des déficits de 10 milliards de dollars canadiens (7 milliards d’euros) par année pendant trois ans pour investir dans les infrastructures et baisser les impôts de ce qu’ils appellent la classe moyenne telles étaient les promesses électorales des libéraux. L’endettement de l’État canadien, montré en exemple de rigueur budgétaire pour avoir diminué lors de la décennie précédente, est reparti à la hausse depuis la crise de 2008. L’augmentation des déficits annoncés par Trudeau (contrairement aux annonces de zéro déficit des conservateurs d’Harper) exprime que la bourgeoisie canadienne est, comme toutes ses consœurs, prise en étau entre la nécessité ’d’assainir les finances’ au risque d’un nouveau 2008 d’une part et celle de maintenir un minimum l’activité économique par les déficits et l’endettement. Cette contradiction exprime l’impasse du capitalisme au plan économique alors que la voie d’une destruction massive des forces productives pour résoudre la crise de surproduction, c’est-à-dire la voie à un holocauste généralisé n’est pas ouverte. La bourgeoisie canadienne n’en est pas encore à des préparatifs directs pour une guerre mondiale parce que le prolétariat n’est pas écrasé physiquement, idéologiquement et politiquement. Cependant tout comme les autres bourgeoisies, la bourgeoise canadienne a “deux fers au feu” si l’on peut dire : s’engager de plus en plus dans les guerres impérialistes d’une part ; et d’autre part mener la guerre de classe contre le prolétariat car les prolétaires canadiens luttent contre les mesures d’austérité même s’ils sont bien encadrés par les syndicats. Cette élection permettra un plus grand rapprochement avec l’impérialisme américain et servira la bourgeoisie canadienne dans ses revendications territoriales concurrentes de la Russie à propos des riches fonds marins de l’Arctique.

Le gouvernement a annoncé que le déficit sera la première année de 15 milliards (10 500 euros) au lieu de 10 milliards prévus à la baisse des prix du pétrole et des métaux. Déjà la promesse de réduire les impôts de la classe moyenne coûtera 2,3 milliard de plus que prévu. La banque centrale canadienne a annoncé le 21 octobre, que la progression du produit intérieur brut du Canada serait de 1,1 % cette année, avant de réduire ses prévisions pour 2016 et 2017 à 2,0 % et 2,5 %, respectivement. Bref la croissance de l’économie canadienne sera très faible pour les prochaines années et comme lors de la crise de 2008 avec les conservateurs, les libéraux veulent relancer l’économie canadienne...une autre tentative de la bourgeoise qui ira vers un échec.

Pendant la campagne électorale, les libéraux ont promis la cessation des bombardements en Syrie avant mars 2015 qui est la date finale de l’engagement pris par les conservateurs d’Harper. Par contre ils veulent augmenter le nombre de soldats présents en Irak pour la formation et l’entraînement de soldats kurdes ou y envoyer des forces spéciales qui interviendraient sur le terrain. L’impérialisme canadien veut toujours maintenir sa place parmi les puissances impérialistes particulièrement ceux du G7. Il restera dans la coalition de l’impérialisme américain et ira même à s’engager davantage mais sous une autre forme que les bombardements. Concernant l’accueil des réfugiés, les libéraux reculent sur le nombre prévu de 25 000 en 2015. Il sera de moins de 6000. L’arrivée des réfugiés donne l’occasion aux médias et aux politiciens l’occasion d’une vaste propagande sur la démocratie bourgeoise et les « bienfaits » du capitalisme canadien. Ils se gardent bien de dire que la participation du Canada aux guerres du Moyen-Orient est une des causes de leur migration.

Le show électoral fut l’un des plus longs dans l’histoire du Canada. On a vu les syndicats tout faire pour faire battre Harper et inciter les prolétaires à voter stratégique en disant que cela améliorait leur situation. Par exemple, la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) n’a pas lésiné sur les moyens pour mobiliser et former des centaines de bénévoles. Louise Chabot, présidente de la Centrale des syndicats du Québec a lancé l’appel de faire barrage au Parti conservateur en allant voter massivement le 19 octobre. « Yassan Yussuf, président du Congrès du Travail du Canada [principal syndicat canadien], a dit qu’il était convaincu que cette stratégie serait un succès si les membres votaient. ’La réalité est que nous représentons 3.3 millions de travailleurs et que si vous y ajoutez un membre de la famille à cette équation, cela représente potentiellement 6 millions de votes’ a-t-il dit. ’S’ils vont voter et amènent leur famille avec eux... il ne fait pas de doute que nous allons décider du résultat’ » [2].

En plus des syndicats, le parti de la gauche réformiste indépendantiste Québec Solidaire a appelé à faire battre Harper sans aucune mention de l’existence du prolétariat et de la lutte de classe. L’appel à faire battre Harper a été, en fait, un soutien à d’autres fractions de la bourgeoisie canadienne. Cette longue période électorale à permis comme jamais la relance d’idéologies individualistes et démocratiques à savoir le principe bourgeois, ’un homme, une voix’ pour les élections et le choix des gouvernements. Le nationalisme a été mis de l’avant par tous les partis : conservateurs, libéraux, néo démocrates et verts ont relancé le nationalisme canadien tandis que le bloc québécois (un parti prônant la sécession du Québec) tablait sur la nationalisme québécois.

« Dans le capitalisme décadent, le parlement et les élections sont une mascarade. Tout appel à participer au cirque parlementaire ne fait que renforcer le mensonge présentant ces élections comme un véritable choix pour les exploités. La ’ démocratie ’, forme particulièrement hypocrite de la domination de la bourgeoisie, ne diffère pas, sur le fond, des autres formes de la dictature capitaliste que sont le stalinisme et le fascisme. » (Position de base du GIGC)

Les prolétaires canadiens comme les prolétaires du monde entier ont tout à perdre en participant au show électoral. La classe ouvrière doit plutôt s’organiser et commencer à travailler à la construction d’un parti politique international et internationaliste pour combattre non seulement la misère, le chômage, la guerre et le terrorisme mais le système qui produit cela et pour lutter pour une société sans classe, sans argent et sans frontière c’est-à-dire le communisme qui n’a rien de commun avec le stalinisme.

Normand.

Élections de 2015 : adaptation de l’appareil politique étatique aux nouveaux enjeux ?

Les dernières élections nationales ou locales qui se sont déroulées tout au long de 2015 dans nombre de pays, européens en particulier, ont vu des bouleversements dans les résultats électoraux des partis bourgeois et l’émergence de nouveaux partis, souvent "d’extrême gauche" ou "d’extrême droite" se présentant comme hors "système". La fin du "bipartisme", c’est-à-dire de l’alternance au pouvoir d’un parti de droite traditionnel et d’un parti de gauche (social-démocrate), est annoncé en Espagne, au Portugal, en France, après l’avoir été en Grèce et ailleurs (Italie depuis longtemps).

Certes, il est contraire aux intérêts du prolétariat de participer au jeu électoral dans notre période historique et les révolutionnaires dénoncent la mystification et le piège qu’il représente. Il n’en reste pas moins que les périodes électorales sont des moments de matraquage idéologique et politique massif sur les populations et particulièrement sur les ouvriers. Aujourd’hui, leur rôle n’est pas de convaincre ces derniers de marcher vers la guerre mondiale mais de masquer la réalité de l’exploitation et de la misère croissantes et de faire oublier la nécessité du combat de classe contre celles-ci. À ce titre, elles ont un impact sur la classe ouvrière.

Mais aussi, selon les moments et les situations internationales et nationales, il arrive qu’au-delà de la simple alternance gouvernementale visant à crédibiliser le jeu électoral démocratique, le choix des équipes gouvernementales puisse représenter des inflexions, voire des changements, de politique. Tant au plan économique et vis-à-vis de la classe ouvrière qu’au plan impérialiste. Par exemple, si dans les années 1990 et 2000, on peut considérer que, globalement, c’est-à-dire dans les principaux pays capitalistes à forte tradition démocratique, les alternances politiques entre droite et gauche ’gouvernementales’ basées sur le bipartisme ne présentaient pas d’options politiques bourgeoises fondamentalement différentes, il ne fait guère de doute aujourd’hui que les venues au pouvoir de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan aux États-Unis à l’aube des années 1980 ont représenté une inflexion considérable des politiques menées par les principales bourgeoisies occidentales en mettant en place des politiques dites "néolibérales" en matière économique, d’attaques brutales contre les conditions ouvrières et particulièrement agressives au plan impérialiste contre l’URSS et le bloc de l’Est. Les conséquences, négatives, pour la classe ouvrière internationale en furent rapides.

En 2015, la constitution de gouvernements d’alliance entre partis de gauche ’gouvernementale’ (PS) et de gauche "radicale" au Portugal (Bloc de gauche et PC) et en Grèce (Syriza), les 20% de votes pour Podemos (à égalité avec le PSOE à 21%) en Espagne où les tractations pour former le gouvernement continuent à l’heure où nous écrivons, ont-ils une signification politique d’ordre international ? Tout comme les succès électoraux de partis de droite ’extrême’ comme le Front National en France ? Et si tel est le cas, s’agit-il simplement d’en finir avec le jeu de l’alternance bipartidiste qui est en grande partie déconsidéré ? S’agit-il de phénomènes éphémères ? Ou bien annoncent-ils de nouveaux enjeux pour la bourgeoisie et pour le prolétariat ?

Sans doute est-il encore trop tôt pour fournir une réponse précise. Il n’en reste pas moins qu’au-delà des situations nationales particulières, ces changements politiques alimentent le débat qui traverse de plus en plus les bourgeoisies européennes au sein de l’UE : faut-il continuer les politiques économiques de réduction drastique des déficits ou bien rejoindre la politique menée par les États-Unis depuis 2008 de création monétaire laissant courir les déficits ? Aujourd’hui, nul ne doute qu’aucune de ces deux options ne répond à l’impasse économique du capitalisme dont la crise continue inexorablement à s’approfondir. Jusqu’alors, la bourgeoisie allemande avait imposé la première option ce qui lui avait permis d’asseoir son leadership sur l’Europe. Mais la question est reposée depuis les attentats parisiens de 2015. Suite aux tueries du 13 novembre, l’Union Européenne, donc l’Allemagne, a accepté que la France ne réduise pas ses déficits comme convenu auparavant au nom de la guerre contre le terrorisme. Mieux même, le Ministre allemand des finances, Schaüble, pourtant fervent pourfendeur des déficits européens, a appelé l’Europe à se doter des « moyens » pour une armée européenne commune.

Ne nous y trompons pas : en aucun cas un assouplissement (même soi-disant "keynésien") de la politique économique européenne ne constituerait une amélioration de la situation ouvrière, ni même une pause dans sa dégradation. Par contre, elle pourrait très bien signifier un renforcement des dépenses et autres "grands travaux" à destination militaire et le fait que l’UE, répondant aux politiques de Quantitative Easing de la Banque centrale américaine, aurait décidé de marcher de manière plus résolue vers la guerre impérialiste. Outre le poids accru de ces dépenses militaires croissantes sur le prolétariat européen aggravant encore l’exploitation qu’il subit, cette orientation de la politique bourgeoise européenne aurait pour conséquence l’approfondissement de l’offensive idéologique et politique internationale contre la classe ouvrière ; celle-là même qui a commencé depuis les attentats de janvier et novembre 2015, avec les appels à la guerre contre le terrorisme, aux interventions militaires accrues au Moyen-Orient, à l’unité nationale, à l’état d’urgence interdisant toute manifestation et aggravant les mesures de répression anti-ouvrière.

Voilà pourquoi les révolutionnaires et le prolétariat dans son ensemble, tout en rejetant le jeu électoral bourgeois et toute participation, ne peuvent rester ’indifférents’ aux résultats et aux changements de gouvernement et de personnel politique qui peuvent indiquer des inflexions ou des changements des politiques menées par chaque bourgeoisie nationale. Il en va de leur capacité à reconnaître le terrain, les lignes d’affrontement, et les enjeux des différentes batailles que la bourgeoisie essaie d’imposer à la classe ouvrière dans la période cruciale qui s’ouvre.

RL, janvier 2016.

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Notes:

[1. Fils de l’ancien premier ministre Pierre Elliot Trudeau reconnu pour avoir instauré la loi des mesures de guerre dans la province de Québec en octobre 1970 pour supposément arrêter une insurrection appréhendée. Cette loi permit l’arrestation de près de 500 personnes. Malgré la promesse faite lors de la précédente campagne électorale, le gouvernement libéral de PET décrète, en 1975, le contrôle des prix et des salaire
s.