Révolution ou guerre n°19

(Septembre 2021)

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Retour sur la polémique du CCI contre le PCI-Le Prolétaire : l’intervention des groupes communistes lors des grèves de 2019 en France

Erratum : dans l’article qui suit, nous avons commis deux erreurs factuelles. Nous nous en sommes aperçus en le traduisant et en cherchant les citations du CCI traduites en espagnol. La première est l’affirmation qu’il ne s’est pas exprimé avant le 1er décembre. En fait, un article traduit en espagnol fut rédigé le 7 novembre 2019 dans Révolution internationale 479 (https://fr.internationalism.org/content/9986/seules-solidarite-et-lunite-lutte-peuvent-repousser-attaques). La seconde : le tract Solidarité de tous les travailleurs et de toutes les générations est daté du 15 décembre. La phrase, « aujourd’hui, mardi 17 décembre, après le discours révoltant d’Édouard Philippe et ses mesures qui annoncent un allongement du temps de travail et une aggravation de la misère... », peut laisser penser que le discours a eu lieu ce jour. Or, après relecture, il apparaît que l’article se réfère au discours du 11 décembre. La note polémique de bas de page, la 12, que nous avons émise dans l’article est donc sans objet. Comme le lecteur pourra s’en rendre compte en lisant l’orientation avancée en novembre – « se regrouper, discuter, se réapproprier les leçons du passé, pour préparer l’avenir de la lutte de classe (...) faire vivre la mémoire de l’immense expérience de lutte de la classe ouvrière » – , ces deux erreurs n’enlèvent rien à notre critique de fond sur l’intervention d’ordre conseilliste et politiquement en retard que cette organisation a menée durant cette lutte prolétarienne massive.
Nous avons décidé de publier la même version originale de notre article dans toutes les langues, sans correction donc et assumant notre erreur, mais précédée systématiquement de cet erratum.
Révolution ou guerre, 25 septembre 2021

« Plus grand est l’élan spontané des masses, plus le mouvement prend d’extension, et plus vite encore s’affirme la nécessité d’une haute conscience dans le travail théorique, politique et d’organisation de la social-démocratie. » (Lénine, Que faire ?)

Les pages françaises du site web du CCI ont publié une polémique, Les graves faiblesses du PCI dans le mouvement contre la réforme des retraites [1], qui critique l’intervention de celui-ci [2], qui publie Le Prolétaire en France, dans la mobilisation ouvrière massive de l’automne-hiver 2019 dans ce pays. La polémique du CCI nous permet ainsi de revenir sur l’expérience passée, en particulier la plus récente, de lutte massive et d’attirer l’attention sur le contenu et la méthode que l’intervention des groupes communistes doit utiliser pour qu’ils assument leur tâche de direction politique dans les luttes de leur classe. Notre intention vise ici, non pas tant à critiquer la démarche et les positions du CCI lui-même, bien que fortement marquées d’économisme ou conseillisme comme nous le verrons, mais de partager, et de soumettre à la critique, notre conception et nos orientations d’intervention afin d’anticiper sur la période de luttes massives qui ne peuvent manquer de surgir face à la crise. Le lecteur pourra évidemment se référer à l’intervention concrète tant du CCI, du PCI que de nous-mêmes, en particulier les tracts, que chacun a pu développer au fil même de la lutte et qui sont disponibles sur les sites web respectifs. Car on ne peut tirer de bilan et de leçons d’une lutte ouvrière et de l’intervention des révolutionnaires qu’en rapport aux prises de position, tracts, mots d’ordre, orientations, etc., adoptées au fil même de la lutte, au moment même où les différentes batailles, ou épisodes particuliers, se posent. Le faire post-festum, et seulement à partir de principes généraux – même si justes en soi –, sans tenir compte du cours même de la mobilisation et des véritables questions et enjeux successifs ne présente guère d’intérêt, au pire révèle une démarche dogmatique et abstraite.

En préalable, nous rappellerons ici de manière succincte le déroulement même de la mobilisation ouvrière qui a duré de septembre 2019 à janvier 2020 et que nous avons retracé dans nos communiqués [3] disponibles sur notre site. L’annonce d’une nouvelle réforme des retraites durant l’été 2019 par le gouvernement français du président Macron a contraint les syndicats à organiser une journée d’action, manifestation et grève, le 13 septembre. La participation massive à celle-ci, en particulier des travailleurs des transports urbains de Paris de la RATP et l’expression de leur combativité, a surpris les syndicats et inquiété l’ensemble de l’appareil d’État bourgeois sur l’état d’esprit combatif régnant dans les rangs de nombreux secteurs prolétariens du pays. Immédiatement, les syndicats FO et SUD, rejoints par la suite par la CGT, fixèrent une nouvelle journée d’action au… 5 décembre présentée comme le début d’une grève illimitée dans tous les secteurs, cherchant ainsi à couper court à tout éclatement immédiat de la lutte. Pour autant, fin octobre, d’abord suite à un accident ferroviaire le 16, les conducteurs de train de la SNCF arrêtèrent spontanément le travail durant trois jours et à l’échelle nationale. Puis le centre technique de Châtillon, en région parisienne, qui s’occupe de l’entretien des trains à grande vitesse (TGV) pour la région sud-ouest de la France, se mit en grève sauvage contre une réorganisation de leurs conditions de travail et les bas salaires dans la semaine du 21 au 27 octobre et en appelant « l’ensemble des cheminots à relever la tête avec eux » [4]. Ce faisant, ils brisaient le cadre, timing et terrain de revendications, le carcan, que les syndicats avaient établis pour enfermer les prolétaires et les contraindre à attendre le 5 décembre et ils ouvraient une opportunité concrète, aussi mince fut-elle, d’extension et de généralisation de la lutte à la SNCF, mais aussi à l’ensemble des autres secteurs, dont certains du secteur privé étaient affectés par des mobilisations et des grèves particulières. Malgré quelques tentatives d’extension de ce conflit particulier sabotées par les syndicats, SUD en particulier, et devant le recul de la direction locale sur les revendications, la grève s’arrêta au bout d’une semaine refermant ainsi la fenêtre ouverte sur un débordement des syndicats et de leur tactique de journées d’action.

Nombreux furent les participants de tous secteurs aux manifestations massives et à la grève du 5 décembre, dans lesquelles il y eut parfois des affrontements avec la police tout comme dans les nombreux piquets de grève qui furent mis en place devant certains lieux de travail. Ce jour devait marquer le début de la grève illimitée dans de nombreux secteurs. Néanmoins, il apparut clairement que l’appareil d’État bourgeois, gouvernement, syndicats et média, maîtrisait la situation et la combativité ouvrière, celle-ci étant dirigée pour l’essentiel vers une grève illimitée dans le temps mais confinée principalement aux seuls cheminots et traminots [5] – on a pu dire que le reste de la classe faisait « grève par procuration » – et sans réelle perspective autre que sa durée et un blocage de la production par le biais de l’arrêt des transports. C’est-à-dire précisément ce que la grève de Châtillon fin octobre avait, de fait, cherché à remettre en cause à condition de s’étendre. Le lendemain de la journée d’action syndicale du 10 décembre qui vit une baisse du nombre de manifestants et la dynamique de la grève se réduire aux transports et se renfermer sur sa durée illimitée, le gouvernement se crut assez fort pour décider d’une mesure additionnelle – le maintien de l’âge pivot – aggravant encore plus les conditions de départ à la retraite. Cette annonce provoqua un regain de colère ouvrière relançant ainsi la dynamique de la lutte et ré-ouvrant, certes très peu et pour un court moment, la fenêtre de l’extension et généralisation qui s’était fermée le 5. Elle obligea ainsi tous les syndicats, y compris la CFDT [le syndicat français le plus « à droite »] qui n’appelait pas à la grève, à relancer une nouvelle journée d’action pour le 17, trois jours avant les vacances scolaires de fin d’année. Il était clair, qu’une fois les enseignants en vacances, les cheminots et les traminots de la SNCF et de la RATP resteraient seuls et isolés dans la lutte, les syndicats, en particulier la CGT, retardant l’appel à la grève illimitée dans les ports et les raffineries par exemple.

Malheureusement, il en fut bien ainsi. Cette deuxième opportunité d’une rupture avec le terrain et le timing imposés par les syndicats et leurs journées d’action ne fut pas plus saisie que la première. Certes la grève et la mobilisation durèrent jusqu’à la mi-janvier pour la première et pratiquement jusqu’à l’éclatement du Covid pour la seconde. Mais le sort du combat était joué, sauf s’il eût pu surgir un événement – « autre » lutte ou grève – particulier et extérieur à cette dynamique même de mobilisation, dans un autre secteur du privé par exemple, qui eût pu briser le timing imposé aux événements par les journées d’action syndicale. Il est donc, selon nous et à grands traits évidemment, cinq moments ou épisodes, de cette lutte ayant présenté des enjeux particuliers et en fonction desquels les révolutionnaires devaient adapter leur orientation et leurs mots d’ordre s’ils voulaient chercher à se hisser à l’avant-garde de ce combat de classe et à y jouer un véritable rôle de direction politique : du 13 septembre à la fin octobre ; la semaine de grève du centre de Châtillon jusqu’au 5 décembre ; de la journée d’action du 5 au 11 décembre ; puis jusqu’au 17, voire 23 décembre [6].

Critique abstraite et dogmatique et réalité des interventions

La critique du CCI ne prend pas en compte ces moments, ni même d’autres moments qu’il aurait lui-même su voir et identifier, pour polémiquer avec le PCI. Il élabore sa critique à partir du principe, qu’il partage avec nous, que les syndicats sont dans notre période historique des organes de l’État bourgeois et, qu’en conséquence, tout appareil syndical ne peut que saboter les luttes ouvrières. Mais elle reste essentiellement abstraite et dogmatique, sans aucun rapport avec la réalité et la dynamique de la lutte elle-même. Elle n’aborde pas les orientations concrètes mises en avant par le PCI au fil du conflit. Quant aux siennes… « la démarche la plus juste n’était donc pas de suivre les expressions radicales du syndicalisme, mais de mettre en exergue les conditions de la lutte de classe, de montrer, comme a cherché à le faire le CCI, la réalité d’une réflexion souterraine s’exprimant par un besoin de solidarité, que justement les syndicats et toute la bourgeoisie cherchaient à dénaturer (sic !). Il était nécessaire de replacer la lutte dans son contexte d’émergence d’une reprise de la combativité et répondre politiquement au besoin de réflexion au sein de la classe. » (nous soulignons)

Le lecteur ne nous en voudra pas d’opposer la vision de Rosa Luxemburg qu’elle met en avant dans Gréve de masse, parti et syndicat et que, pour notre part, nous reprenons à notre compte et essayons d’appliquer : « Au lieu de se poser le problème de la technique et du mécanisme de la grève de masse, la social-démocratie est appelée, dans une période révolutionnaire, à en prendre la direction politique. La tâche la plus importante de « direction » dans la période de la grève de masse, consiste à donner le mot d’ordre de la lutte, à l’orienter, à régler la tactique de la lutte politique de telle manière qu’à chaque phase et à chaque instant du combat, est réalisée et mise en activité la totalité de la puissance du prolétariat déjà engagé et lancé dans la bataille et que cette puissance s’exprime par la position du Parti dans la lutte ; il faut que la tactique de la social-démocratie ne se trouve jamais, quant à l’énergie et à la précision, au dessous du niveau du rapport des forces en présence, mais qu’au contraire elle dépasse ce niveau. » (Rosa Luxemburg, nous soulignons) [7]

Le CCI est loin, très loin, de la recherche et du combat pour toute direction politique effective dans la confrontation de classe réelle. Et près, très près, de la vision conseilliste portée par Anton Pannekoek en 1947 qui défend que les communistes doivent se limiter à « diffuser la lucidité et le savoir (…) et éclairer l’esprit des masses au moyen de leur propagande. » [8] Loin de ces arguties conseillistes abstraites et dogmatiques, abordons la réalité des interventions du PCI et du CCI, et de la nôtre.

Avant le 5 décembre

Dès l’éclatement de la grève sauvage du centre de Châtillon le 21 octobre, celle-là même qui ouvre une brèche dans le dispositif syndical des journées d’action planifiées à partir du 5 décembre, le PCI publie un tract – reproduisant un communiqué fait par les cheminots en grève –, Grève illimitée et sans préavis : les cheminots grévistes de Châtillon montrent la voie ! Ce tract appelle à « l’extension et la généralisation du mouvement (…) à la grève illimitée, sans préavis avec occupation des locaux ou piquets de grève, extension aux autres établissements, comités de grève, etc. », les travailleurs à « prendre leur lutte en main indépendamment des organisations collaborationnistes [les syndicats]. » Pour notre part, et même si nous divergeons sur la question syndicale avec le PCI, nous estimons que le tract du PCI avance les mots d’ordre et orientations qui correspondent à la situation et au besoin du combat contre l’attaque du gouvernement et de la tactique de sabotage des syndicats et des gauchistes. Du même côté de cette barricade, de cette première bataille, nous décidons de soutenir et reproduire ce tract, plutôt que d’en publier un nous-mêmes en l’accompagnant d’un communiqué visant à présenter notre analyse de la situation et expliquer notre démarche. En particulier, nous appelons les travailleurs à briser le carcan des journées d’action en brisant leur timing fixé au 5 décembre. Durant ce premier épisode qui va voir la grève s’éteindre au bout d’une semaine, le CCI est aux abonnés absents. Il ne dit mot. Silencieux.

Le 5 décembre

Avant la manifestation du 5 décembre, « début officiel » de la grève selon les syndicats, le PCI publie un deuxième tract le 29 novembre dans lequel il renouvelle ses mots d’ordre de « grève illimitée et sans préavis (…), comités de grève élus et révocables, piquets de grève ou occupation des locaux pour arrêter effectivement l’activité, extension du mouvement aux autres entreprises. » Ce n’est que le 1er décembre, un mois après les grèves sauvages d’octobre et alors que les mâchoires du piège syndical se referment, que le CCI en France intervient pour la première fois par un tract, Unifions nos luttes, contre les attaques de nos exploiteurs ! On peut déjà donc relever qu’en terme de timing, il se situe en retard sur la bourgeoisie, en particulier le gouvernement et les syndicats. Et qu’il a complètement raté, ou ignoré, la perspective qu’avaient ouverte la paralysie des trains, puis la grève sauvage au centre de maintenance des TGV, de la fin octobre dans un climat général de combativité ouvrière. Bref, le CCI est déjà en retard sur le mouvement et les syndicats qui, à ce moment-là, sont au devant de la scène et annoncent une grève longue et dure. Pire, il est politiquement à la queue des syndicats. Bien que juste en soi, en particulier sa dénonciation des syndicats, le tract n’en reste pas moins très général sur les perspectives et mots d’ordre : « tout la classe ouvrière doit lutter ! », « notre unité est vitale, nous devons la forger et la défendre ». Mais surtout, il se centre sur l’auto-organisation et les assemblées générales, non pas comme moyens et outils parmi d’autres pour réaliser des mots d’ordre de grève et d’extension et, de fait, s’opposer et combattre les sabotages syndicaux, mais comme préalables à la lutte : « Seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, peut constituer la base d’une lutte unie. » Au moment même où il s’agit d’opposer des orientations et mots d’ordre alternatifs à ceux mis en avant par les syndicats et de leur disputer la direction de la lutte, il appelle « les travailleurs les plus combatifs et déterminés [à] se regrouper, discuter, se réapproprier les leçons du passé, pour préparer la lutte autonome de toute la classe ouvrière. » (nous soulignons) C’est-à-dire pour préparer une lutte future, pure et autonome, autrement dit une lutte dans lesquels les forces bourgeoises en milieu ouvrier, les syndicats en premier, auraient disparu ; de fait, une lutte qui ne serait plus une lutte entre les classes. Et cela au moment même où la classe se bat et a besoin d’orientations et de mots d’ordre politiques concrets et immédiats, le CCI propose de discuter, se réapproprier et préparer une lutte future et pure, rêve de toujours du petit-bourgeois apeuré devant la véritable lutte des classes.

Pour notre part, « il nous a semblé inutile – nous nous sommes interrogés – de faire une intervention particulière sur l’appel à la grève et à sa reconduction qui serait venu s’ajouter à tous les autres venant des syndicats (…) de gauchistes et même de forces révolutionnaires » disions-nous le 8 décembre. [9] Nous avons décidé de distribuer le tract du PCI lors de la manifestation du 5 dans la mesure où les mots d’ordre et les revendications qu’il mettait en avant correspondaient aux enjeux qui se présentaient à ce moment-là, à l’occasion de cette journée et pour ses lendemains. En effet, de notre point de vue, l’appel à la mobilisation pour ce jour devait fixer comme orientation le débordement et la confrontation aux syndicats ou, plus précisément, la transformation de cette journée d’action syndicale de sabotage de la réponse ouvrière en un moment du combat pour l’extension et l’unité du maximum de secteurs par la grève, essentiellement par le mot d’ordre de reconduite de la grève illimitée et son extension aux secteurs qui ne l’ont pas encore décidé. C’est-à-dire, globalement, les mots d’ordre que le PCI avançait dans son tract [10].

Après le 5 et jusqu’au 10

Le PCI publie un tract le 7, les directions syndicales temporisent, pour vaincre, les travailleurs doivent prendre leur lutte en main. Il y renouvelle ses orientations et mots d’ordre antérieurs de prise en main de la lutte et de son extension qui répondent à l’enfermement croissant des prolétaires dans les filets de la tactique syndicale malgré leur combativité. On peut néanmoins relever qu’il ne réussit pas en prendre en compte le nouveau moment, suite au renforcement du contrôle syndical suite à la journée du 5, pour adapter ses orientations et mots d’ordre.

Pour notre part, nous intervenons le 8 décembre, par voie de communiqué. Prenant acte de la journée du 5 et du succès syndical qu’elle représente, nous avertissons contre « le risque pour l’ensemble des prolétaires d’attendre simplement et passivement dans l’espoir que le blocage des transports fasse céder le gouvernement au lieu d’entrer ouvertement dans la lutte. [Sans extension réelle,] les syndicats qui maîtrisent déjà le timing et le terrain vont pouvoir "jouer" avec l’usure et la fatigue des cheminots et des travailleurs de la RATP (…) mener à l’échec. (…) Seule une entrée en lutte et grève reconductible dans d’autres secteurs peut permettre de dépasser une grève dont l’unique objectif serait le "blocage de la production", terrain sur lequel les syndicats assoiront encore plus leur contrôle et mainmise sur le mouvement. (…) Pour cela, [les prolétaires] ne peuvent faire l’économie de disputer aux syndicats la direction du combat, des décisions d’action et des revendications, et même des tâches de négociations avec le gouvernement si elles doivent avoir lieu. Voilà donc l’enjeu des deux prochains jours, sans doute jusqu’à mercredi et les annonces du gouvernement. » Mettant en avant des revendications « économiques », sur la retraite et sur les salaires dans lesquelles tous les secteurs, en particulier public et privé, pouvaient se reconnaître et qu’ils pouvaient faire leurs, et auxquelles les syndicats étaient opposés, nous appelons à l’extension de la grève sur la base de celles-ci, donnant ainsi un objectif concret à son extension. Conscients qu’après le 5, seule une minorité de travailleurs pouvaient se faire les porteurs de cette perspective, nous terminions par appeler au « regroupement en comités de lutte des prolétaires combatifs et isolés sur la base de l’appel à la grève et à l’envoi de délégations massives pour l’étendre. »

Le CCI reste silencieux jusqu’au 15.

La rupture du 11 décembre jusqu’au 17

La maladresse ou la provocation du premier ministre du 10 décembre au soir qui fragilise le contrôle et la direction des syndicats sur la grève, nous apparaît ré-ouvrir une porte que les prolétaires peuvent, et doivent, saisir pour essayer de gagner l’initiative du combat aux syndicats. Nous publions aussitôt, le 11, un tract, Tout faire pour aider le privé à s’engager dans la grève !

« Entraîner, encourager, aider, les travailleurs du privé à s’engager dans la lutte et la grève est la priorité de l’heure si on veut faire reculer le gouvernement ! Le blocage des transports n’y suffira pas. La grève par procuration qui fait reposer tout le poids du combat en grande partie sur les seuls cheminots et les travailleurs de la RATP ne peut mener qu’à l’impasse et à l’épuisement des grévistes. La fenêtre de tir, l’opportunité, l’occasion, d’entraîner et d’étendre la grève aux prolétaires du privé est encore là. Au moins d’ici au prochain mardi 17 et aux manifestations de ce jour. Après, il est fort possible que la grève, réduite aux seuls cheminots et travailleurs de la RATP pour l’essentiel, se réduise à une lutte "bras-de-fer" sans autre but que durer le plus longtemps. À ce jeu, la bourgeoisie et tout l’appareil d’État seront les plus forts. Ils contrôleront, ne serait-ce qu’au moyen des syndicats, la situation et pourront attendre que la lutte s’épuise d’elle-même. Comme pour les cheminots en 2018. » [11]

Le PCI et le CCI publie un tract en même temps, le 15, en vue de la journée d’action et de manifestation du 17 qui, s’il n’est pas d’initiative prolétarienne particulière entre-temps, va inévitablement refermer la porte entre-ouverte. Le PCI, Contre la réforme des retraites…, lutte de classe prolétarienne !, en est conscient malgré ses confusions sur le soit-disant collaborationnisme de classe des syndicats : « la voie d’une lutte victorieuse exige la rupture avec la pratique du collaborationnisme de classe et le retour à la lutte de classe, à ses méthodes, ses moyens et ses objectifs. » (nous soulignons)

Loin de prendre en compte le moment et la possibilité, aussi faible et temporaire soit-elle, d’une rupture avec la dynamique imposée par le contrôle syndicale, le tract du CCI, Solidarité dans la lutte de tous les travailleurs et toutes les générations (sic !)  ! [12], appelle à « profiter de cette journée pour discuter et réfléchir ensemble dans les manifestations » syndicales du 17 ! À, « pour porter plus loin nos luttes, (…) apprendre à nous organiser par nous-mêmes. » En guise de perspective immédiate, il appelle à former des comités de lutte… « afin de discuter ensemble, tirer les leçons de ce mouvement, se réapproprier celles des mouvements passés et préparer les combats futurs. » Bref, le CCI n’a rien à dire au prolétariat en terme de perspective et d’orientation de combat immédiat. Il réserve ses prêches, pardon ses mots d’ordre, pour les combats futurs. Et nous qui l’accusions d’être à la queue du mouvement !

Après le 17, la voie sans issue de la grève longue

La journée d’action syndicale du 17, deux jours avant les vacances des enseignants qui semblaient être les plus susceptibles de se joindre massivement à la grève, clôt définitivement toute possibilité d’extension et de généralisation de la lutte. Bien que la grève va encore se prolonger jusqu’à la mi-janvier, la bourgeoisie et son appareil d’État, gouvernement, partis, syndicats et média, vont pouvoir alors se contenter d’attendre paisiblement que la grève s’épuise d’elle-même. Nous publions un communiqué le 21 tirant l’essentiel, selon nous, du bilan de cette expérience de lutte. Le PCI va continuer à publier régulièrement des tracts, à l’occasion des journées d’action syndicales suivantes, jusqu’au 17 février. Ils vont renouveler orientations et mots d’ordre de lutte tout comme la dénonciation de la tactique syndicale. Alors que la grève, de plus en plus minoritaire et sans perspective, est définitivement dans l’impasse, le CCI va publier deux tracts qui sont complètement hors du temps et de la réalité de la lutte, en particulier de son impasse et de son échec dès lors quasi inéluctable. Le 13 janvier, il appelle encore à ce moment-là, et à l’unisson avec les syndicats et les gauchistes, à la lutte massive et unie de tous les exploités et le 4 février, toujours, à « prendre nos luttes en main » comme le font les gauchistes du NPA, apôtres eux-aussi de l’auto-organisation dans les AG interpro.

Silencieux jusqu’au 1er décembre alors que la situation restait ouverte à toute potentialité prolétarienne, le CCI va multiplier frénétiquement tracts et articles – deux sont datés du 13 janvier et un autre du 14 – une fois la défaite ouvrière assurée jusqu’à oser, sans vergogne, critiquer le PCI de manière dogmatique et abstraite. Or malgré ses positions pour le moins confuses, voire opportunistes, sur le syndicalisme, le PCI a réussi à se situer à l’avant-garde de cette épisode de la lutte des classes et aux différents moments clés de celui-ci. On ne peut pas en dire autant du CCI toujours en retard sur les moments et à la remorque des syndicats et du gauchisme sur le terrain politique.

Sur la base de l’expérience de la grève de masse de 1905 en Russie, Lénine en tira profit pour exposer clairement l’attitude, et surtout la méthode, que les révolutionnaires devaient adopter vis-à-vis des formes organisationnelles dont devait se doter le prolétariat dans ses luttes afin d’être en capacité d’en assumer au mieux la direction politique. En cela, il ne diffère pas de Rosa Luxemburg. Les militants sincères du CCI devrait y réfléchir s’ils désirent se dégager du conseillisme honteux de leur organisation, en particulier de son fétiche de l’auto-organisation et des Assemblées Générales (AG).

« En premier lieu, le marxisme diffère de toutes les formes primitives du socialisme en ce qu’il ne rattache pas le mouvement à quelque forme de combat unique et déterminée. Il admet les méthodes de lutte les plus variées, et il ne les ’invente’ pas, il se borne à généraliser, organiser, rendre conscientes les formes de lutte des classes révolutionnaires, qui surgissent spontanément dans le cours même du mouvement. Absolument hostile à toutes les formules abstraites, à toutes les recettes de doctrinaires, le marxisme veut que l’on considère attentivement la lutte de masse qui se déroule et qui, au fur et à mesure du développement du mouvement, des progrès de la conscience des masses, de l’aggravation des crises économiques et politiques, fait naître sans cesse de nouveaux procédés, de plus en plus variés, de défense et d’attaque.

C’est pourquoi le marxisme ne répudie d’une façon absolue aucune forme de lutte. En aucun cas, il n’entend se limiter aux formes de lutte possibles et existantes dans un moment donné ; il reconnaît qu’un changement de la conjoncture sociale entraînera inévitablement l’apparition de nouvelles formes de lutte, encore inconnues aux militants de la période donnée. Le marxisme, sous ce rapport, s’instruit, si l’on peut dire, à l’école pratique des masses ; il est loin de prétendre faire la leçon aux masses en leur proposant des formes de lutte imaginées par des ’fabricants de systèmes’ dans leur cabinet de travail. » [13]

RL, août 2021

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Notes:

[1. À notre connaissance, elle n’a pas été publiée dans le journal Révolution internationale.

[4. On peut lire ou relire le communiqué des grévistes du centre SNCF de Châtillon sur notre site : http://www.igcl.org/Soutien-actif-aux-grevistes-de-la

[5. D’autres secteurs, principalement du public, l’enseignement par exemple, se joignirent à la grève mais la plupart du temps de manière très minoritaire.

[6. Bien évidemment, cette périodisation faite au cours même de la lutte est discutable en soi.

[7. Grève de masse, parti et syndicats, Maspéro, 1969.

[8. Cinq thèses sur la lutte de classe ? 1947, in Pannekoek et les conseils ouvriers, EDI, Paris, 1969.

[9. cf. notre communiqué du 8 décembre dans lequel nous expliquons les raisons du choix du tract du PCI au détriment de celui du CCI, car faisant de l’auto-organisation un préalable, « la base d’une lutte unie », et avançant des « sans lien direct avec la mobilisation, donc abstraites et sans utilité pour la généralisation réelle… »

[10. Principalement du fait de nos faibles forces en France et du fait que les potentialités de débordement des syndicats lors de cette journée étaient faibles, même si existantes, nous avons décider de ne pas réaliser d’intervention spécifique en cette occasion. Bien sûr, cela peut être critiquable et débattu.

[11. http://igcl.org/Tout-faire-pour-aider-le-prive-a-s. Il faut souligner que ces prévisions que nous, parmi d’autres, avons faites, et en opposition frontale à l’ensemble des syndicats et du gauchisme, se sont pleinement réalisées à partir du 18 décembre jusqu’à la mi-janvier et la fin de la mobilisation.

[12. Ce tract est daté du 15 décembre mais mentionne le discours du premier ministre du 17 décembre. Est-il antidaté ? Le CCI tricherait-il avec les dates afin de masquer son retard et son indifférentisme à l’égard des prolétaires en lutte ? « Aujourd’hui, mardi 17 décembre, après le discours révoltant d’Édouard Philippe... »